Dans une série de podcasts « philosophie et arts martiaux » France Culture donne la parole à Coralie Camilli (2e dan d’Aïkido et docteure en philosophie) qui y développe des idées qu’elle a déjà exposées dans un ouvrage publié l’année dernière.
Je suis complètement d’accord avec la manière dont elle aborde la question : en tenant à la « bonne distance » les traditions philosophiques et religieuses orientales et en resituant notre pratique de l’Aïkido dans notre propre culture philosophique et notre histoire de la pensée. Il ne s’agit pas de couper l’Aïkido de son histoire et de ses racines, il s’agit de nous l’approprier et d’éviter un double écueil :
- Le premier serait de ne faire de l’Aïkido qu’une « pratique sportive » dans laquelle il n’y aurait finalement pas de dimension psychologique, esthétique, éthique et éducative, ni finalement d’enseignement de « sagesse » (pour revenir à l’étymologie de Philosophie).
- Le second serait qu’à la recherche de cette philosophie, nous nous croyions obligés d’acquérir, généralement de manière biaisée par la langue et la traduction, un bagage complètement erroné et abracadabrant en religions et philosophies orientales (on voit déjà qu’énoncer des mots aussi culturellement occidentaux de « philosophie » et « religion », assure qu’on est en train de se perdre).
Comme beaucoup de pratiquants j’ai commencé à m’intéresser à la philosophie des arts martiaux en lisant l’ouvrage d’Eugen Herrigel « Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc », dans lequel il relate son étude du Kyudo (tir à l’arc) durant ses 6 ans de vie dans le Japon de 1920. Comme peu de pratiquants j’ai eu la chance d’assister à une conférence donnée par Maître Risuke Otake lors de son voyage en Europe en 1980. Lorsqu’en référence à l’ouvrage d’Herrigel, la question fut posée à Maître Otake des rapports entre le bouddhisme zen et les arts martiaux, celui-ci avait gentiment « remis les pendules à l’heure » :
Professeur de philosophie Eugen Herrigel était venu au Japon pour étudier le bouddhisme zen, il avait donc fait passer toute son expérience japonaise sous l’horizon de son sujet d’étude. Les arts martiaux japonais avaient bien une empreinte religieuse : le Shintoïsme, mais cela ne concernait que les japonais, puisque par définition le shintoïsme est la mythologie proprement japonaise. Si des pratiquants étaient bouddhistes ou chrétiens, ou autre chose d’important pour eux, il était normal qu’ils mettent cette « autre chose importante » dans leur pratique des arts martiaux mais chercher à adhérer à des croyances ou à s’approprier des systèmes philosophiques particuliers n’avait rien à voir avec la pratique.
Cette position, qui à la fois laïcise et rend universels les arts martiaux, je l’ai retrouvée finement décrite dans le passionnant ouvrage « Bushido and the art of living » d’Alexander Bennett. 7e dan de Kendo et pratiquant de haut-niveau de plusieurs arts martiaux, Alexander Bennett vit au Japon depuis plusieurs décennies, il est Professeur à l’Université de Kansaï. Cet ouvrage n’est malheureusement pas traduit en français, mais cette longue interview sous-titrée permettra d’accéder à cette explication (les impatient-e-s peuvent aller directement à la vidéo n°4 mais ils/elles perdront un bonne occasion de réfléchir à leur propre pratique) :
Les arts martiaux (budo) sont un cadre (framework) pour votre propre philosophie de vie, ils vous rendront meilleur, c’est-à-dire un meilleur être humain, ils vous perfectionneront mentalement, relationnellement, éthiquement.
Les arts martiaux, pour nous l’Aïkido, nous feront « bien-vivre », mener une « bonne vie », au sens que cela a dans notre propre histoire philosophique (Aristote, Spinoza, etc., ou tout autre système de pensée ou de croyance qui vous conviendra, il n’est pas utile de vous précipiter à la bibliothèque pour vous approprier l’Aïkido ! Vous êtes déjà imprégnés de cette « histoire de la pensée » par le simple fait que vous lisez ces mots en français et au XXIe siècle !).
En revanche « devenir meilleur » par l’Aïkido, ce n’est pas donné, ce n’est pas « naturel », il faut le rechercher volontairement : c’est une « voie » do, à suivre longuement. Comme la pratique des arts martiaux perfectionnera votre corps et vos mouvements à force d’efforts réguliers, d’autodiscipline et de persévérance, elle perfectionnera votre esprit.
Mais ce seront toujours votre propre corps et votre propre esprit, vous ne serez jamais ni physiquement, ni mentalement un japonais, a fortiori un japonais des temps anciens. L’Aïkido c’est ici et maintenant que nous le faisons.