L’étiquette et la pratique
De son origine japonaise l’Aïkido conserve un vocabulaire, des institutions et le respect d’une étiquette traditionnelle. Sans sombrer dans un orientalisme folklorique et sans contenu, des règles d’étiquette issues de la tradition martiale japonaise sont respectées. Elles favorisent la sécurité et la concentration ainsi que la convivialité et le respect mutuel lors des entraînements. Le débutant s’y conforme par imitation, les principales sont expliquées lors des premiers cours, les autres sont assimilées progressivement au fur et à mesure que l’observation s’affine.
Relations professeur – élèves
Le mot japonais pour « professeur » est « senseï », il est souvent traduit en français par « maître » ce qui donne une connotation un peu ésotérique qui ne doit pas être retenue : les arts martiaux n’incorporent ni mystique, ni doctrine philosophique. En revanche ils impliquent des comportements disciplinés et respectueux d’une hiérarchie du savoir et de l’antériorité dans la pratique. Pendant l’entraînement, toutes les consignes doivent être suivies rapidement et en silence, elles ne sont ni questionnées ni discutées. Les questions sont bien sûr légitimes à la fin des cours, traditionnellement, elles sont posées par les débutants (kohaï) aux plus avancés (sempaï) qui éventuellement vont demander au senseï de donner des explications lors du prochain cours.
Le fondateur de l’Aïkido Moriheï Ueshiba est appelé « ô senseï », le « grand professeur » ; le dirigeant de l’Aïkikaï, actuellement son petit-fils Moriteru Ueshiba, est le « doshu » : le « maître de la voie ».
Il y a un système de grade en Aïkido : on porte une ceinture blanche et on passe par les grades de 5e à 1er Kyu ; ensuite on devient ceinture noire 1er dan, puis 2e dan, etc. Le plus haut grade accordé aujourd’hui par l’Aïkikaï est le 9e dan.
En France on peut présenter le diplôme d’Etat de professeur dès le 2e dan, mais dans le système japonais traditionnel le grade où un « élève-maître » commence à enseigner est le 4e dan. Il est habituel d’appeler un professeur « maître » ou « senseï » à partir du 5e dan.
Les professeurs de très haut niveau et d’une très grande exemplarité peuvent également se voir accordé le titre de Shihan, « enseignant modèle ».
Observer, reproduire, expérimenter
L’Aïkido est une pratique corporelle : on ne doit pas parler pendant l’entraînement mais observer, reproduire, expérimenter.
Enseigner
Dans la pédagogie japonaise traditionnelle, l’enseignant ne parle pas, il montre la technique et, souvent, il ne la montre qu’une seule fois. Les élèves doivent faire un effort intense de concentration pour regarder, capter le maximum d’informations importantes et de détails, puis ils reproduisent… et se trompent.
Dans la pratique, le plus ancien (sempaï) fait sentir au débutant (kohaï) les défauts qu’il perçoit ; le professeur passe exécuter une ou deux techniques avec chacun, il donne ainsi l’occasion de ressentir physiquement et de regarder à nouveau… Cela se fait toujours sans explication orale. Chaque pratiquant entre ainsi dans une démarche expérimentale d’essai-erreur-correction et s’approprie progressivement la technique avec son propre corps.
En occident on veut raccourcir cette phase d’appropriation corporelle et pratique en donnant des explications visant à limiter le nombre d’erreurs et de défauts qu’il faudra progressivement corriger. Le principal avantage de cette pédagogie est que nous en avons l’habitude, c’est comme cela que nous nous attendons à être enseignés.
En revanche elle a de nombreux inconvénients, notamment pour le professeur : il est difficile de bien montrer quelque chose avec son corps tout en parlant pour donner des explications. Il faut alors arrêter le mouvement pour pouvoir parler, mais c’est une catastrophe sur le plan pédagogique puisque cela laisse les élèves avec l’observation d’un mouvement qui peut s’arrêter ce qui est une totale aberration : du déclenchement par l’attaque jusqu’à sa conclusion par une immobilisation ou une projection, une technique ne s’arrête jamais.
Apprendre
Cette pédagogie limite également la capacité de progression de l’élève : pour apprendre il faut observer, imiter, se tromper, corriger ses erreurs et finalement comprendre grâce à l’expérience des sensations corporelles. Les explications orales, même du meilleur des professeurs, et une volonté de comprendre trop « intellectuelle », même du plus intelligent des élèves, ne servent à rien.
Idéalement l’enseignant montre la technique plusieurs fois sous différents angles, la bonne façon de regarder est l’inverse de ce que l’on a l’habitude de faire : habituellement on regarde le haut (le visage) puis les mains qui semblent réaliser le principal de l’action en frappant, saisissant, projetant, coupant, etc. Rien n’est plus inapproprié !
Il faut d’abord regarder à partir du bas : les appuis des pieds au sol permettent de se déplacer puis de transmettre la force des jambes et des déséquilibres, cette force passe par le centre du corps et s’exerce sur le centre de gravité de l’attaquant (Uke).
Bien observer c’est en premier être capable de reproduire les déplacements. Lorsque c’est acquis il faut alors ajouter progressivement les autres aspects de la technique au dessus.
Se tromper avec enthousiasme, se corriger avec patience
Faire des progrès c’est corriger des erreurs. Il ne faut donc pas être inhibé par la peur de « faire mal » ou un désir démesuré de « faire bien ». De même il ne faut pas être trop pressé d’avoir des résultats. Les gratifications d’une pratique régulière et disciplinée viendront d’un seul coup, sans prévenir, on ne peut pas « forcer » le moment où cela va surgir. Un jour, d’un seul coup, vous allez ressentir le plaisir de la sensation du mouvement juste au moment juste et cela sera pour toujours, l’Aïkido est l’affaire d’une vie.