C’est un point très important, souvent mal compris, qui demande plusieurs éléments de réponse.
Aïki-Jo et Aïki-Ken, les armes de l’Aïkido
En effet, l’Aïkido est un art martial à main nue, il n’y a d’ailleurs pas de cours d’armes au Dojo central de l’Aïkikaï à Tokyo.
L’essentiel des « armes de l’Aïkido » nous vient de l’époque où le fondateur de l’Aïkido, O Senseï Moriheri Ueshiba, vivait dans le village d’Iwama, soit de la seconde guerre mondiale à sa mort en 1969. C’est à Iwama qu’a été édifié le temple Shinto de l’Aïkido où se tient chaque année le festival en sa mémoire (voici le reportage de l’évènement en 2013 sur le site de Guillaume Erard ). Durant toutes ces années l’assistant de Maître Ueshiba a été Maître Morihiro Saïto, c’est essentiellement Saïto Senseï qui a mémorisé et nous a transmis les techniques d’armes qu’il a apprises de lui durant cette période. Ce sont ces techniques que l’on appelle Aïki-Jo (le travail de bâton pour l’Aïkido) :
et Aïki-Ken (le travail de sabre de l’Aïkido) :
Il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une école d’escrime particulière mais de formes pédagogiques faites pour faciliter l’enseignement et la compréhension des techniques à main nue de l’Aïkido.
En effet, comme les techniques d’Aïkido viennent du maniement des armes, ces formes permettent de bien comprendre comment se construisent les techniques qui utilisent la main pour « couper » et les déplacements pour « ouvrir » et « fermer » des angles en fonction du centre de chaque partenaire et de ses possibilités de déplacement… Bref, cela permet de comprendre que, techniquement, il faut étudier l’Aïkido comme une escrime sans arme, comme les différents styles de Karaté ou de Boxe, plutôt qu’une discipline qui s’apparente aux luttes et au Judo, même si les techniques se concluent par des projections et des immobilisations.
Dans le style d’Aïkido rattaché à l’Aïkikaï que nous pratiquons, chaque enseignant peut choisir de faire pratiquer l’Aïki-Ken et l’Aïki-Jo à ses élèves en fonction de sa vision de l’Aïkido et de son projet pédagogique propre. De même il peut choisir de ne pas le faire mais il est très difficile d’enseigner de manière compréhensible si on ne connaît pas suffisamment ce travail pour pouvoir le montrer en soutien des explications sur les techniques à main nue.
Au sein de Neko Aïkiclub nous enseignons une partie de ces exercices en y consacrant plus ou moins de temps selon les moments de l’année. L’étude du bâton fait en particulier l’objet d’une attention importante. Les références de notre travail se trouvent dans les ouvrages de Christian Tissier Shihan Aïkido Fondamental – Tome 3: Aïki-jo: Techniques de Bâton (manuel, éditions Sedirep, réédition en 2011) et Aikiken – Bokken Kenjutsu mes choix pour l’étude du Ken (vidéo VHS, qui n’est plus distribuée).
Dans ce contexte, plus que des armes, le sabre et le bâton sont donc des accessoires pédagogiques pour l’amélioration des attitudes (jambes fléchies), des postures (les mains liées au centre), des déplacements (sans déséquilibre), etc.
Les techniques d’Aïkido contre les armes
L’Aïkido est un art martial à main nu qui s’intéresse aux confrontations asymétriques, c’est-à-dire celles où l’attaquant est plus fort que l’attaqué, ce dernier maîtrisant ces attaques grâce aux techniques d’Aïkido. On étudie en particulier les situations, très asymétriques, où l’attaquant est armé et l’attaqué à main nue.
Il existe donc dans la nomenclature de l’Aïkido des techniques spécifiques contre les attaques au couteau, telle Gokkyo (la 5e immobilisation) ou les formes de Shihonage et Kotegaeshi sur des coups de couteau portés vers le cou ou vers le ventre, etc.
Bien entendu, à partir de ces techniques précisément répertoriées peut se construire un grand nombre d’applications adaptées à des attaques avec des couteaux, des sabres, des bâtons…
Ces applications nous viennent essentiellement d’avant la seconde guerre mondiale, quand O Senseï enseignait des techniques issues de son expérience pratique et destinées à servir « pour de bon » en combat à mort.
En effet Maître Ueshiba, outre sa formation dans les arts martiaux traditionnels, avait aussi une solide expérience militaire : en 1903 à l’âge de 20 ans il a fait la guerre en Chine et il a dû combattre à nouveau lors de son expédition en Mongolie en 1924. En tant que soldat il était en particulier expert dans l’escrime à la baïonnette (Jukenjustu). En 1930, il est devenu instructeur à l’Académie militaire de Toyama, en 1931 il a inauguré le dojo Kobukan qui restera ouvert jusqu’à la guerre et qui était connu sous le nom de « Dojo de l’enfer » en référence à la rigueur de ses entraînements (cf. la biographie écrite par Maître Kisshomaru Ueshiba dans l’introduction de 1991 à la réédition de « Budo », le manuel publié par son père en 1938).
Même si c’est dans ce dojo qu’a progressivement été raffiné l’Aïkido dont nous avons hérité pour devenir la discipline éducative que nous connaissons, les techniques appliquées aux armes transmises depuis cette époque n’ont guère évolué. Elles sont donc assez « rudes », avec des atemis, portés avec le poing ou la main ouverte pour inhiber l’attaque, et des conclusions avec des étranglements et des clefs de bras permettant de réaliser facilement une luxation ou de désarmer l’adversaire afin de lui ôter toute possibilité de recommencer.
L’étude intensive de ces techniques est particulièrement intéressante pour ceux qui recherchent une pratique de l’Aïkido orientée vers la self-défense et, même pour ceux qui ne sont pas intéressés par cet aspect « utilitaire », elles doivent faire partie du programme d’entraînement à un moment ou l’autre de l’année car, sans elles, l’étude de l’Aïkido serait incomplète et perdrait un « réalisme » qui est indispensable à la progression.
L’Aïkido et le sabre des koryu
L’Aïkido est un « budo », l’un des arts martiaux modernes mis en forme au Japon depuis la fin du XIXe siècle. Les écoles martiales qui étaient pratiquées auparavant sont appelées « koryu », les écoles anciennes, l’escrime au sabre, Kenjutsu, y occupe une place prépondérante alors que le travail à main nue, Taïjutsu, s’y faisait de manière liée et subordonnée à l’étude des armes.
Plusieurs de ces écoles se sont perpétuées jusqu’à nos jours et, à cause de ce lien historique, beaucoup de pratiquants d’Aïkido s’intéressent à cette pratique.
En France les aïkidokas ont le plus souvent rencontré l’une ou l’autre de ces deux écoles :
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- Muso Shinden Ryu, qui est une école de Iaïdo (l’art de dégainer le sabre) qui compte des pratiquants dans différentes structures en France, dont un enseignement organisé au sein de la Fédération européenne de Iaïdo par Malcom Tiki Shewan (6e dan Aïkikaï, professeur d’Aïkido formé par Maître Nobuyoshi Tamura et spécialiste reconnu du sabre japonais).
- Kashima Shin Ryu, qui est l’école de Ken Jutsu que Christian Tissier Shihan et Lilou Nadenicek (les professeurs des enseignants de Neko Aïkiclub) ont étudié au Japon auprès de Maître Minoru Inaba :
Au sein de Neko Aïkiclub, nous voyons les 5 katas de la première série de Kashima Shin Ryu (Kihon Dachi « les bases du sabre ») que Maître Tissier fait étudier régulièrement en stage.
Comme on le voit sur la vidéo de Maître Inaba, ce travail de Ken Jutsu est très dynamique, il oblige à renforcer sa concentration (zanshin), l’instantanéité de ses démarrages de techniques, sa détermination, sa conscience du danger, sa gestion des distances dynamiques (ma aï), etc. Il s’agit là d’un ensemble de qualités qui sont au cœur de la pratique des arts martiaux telle que nous l’envisageons et voulons la faire partager, mais qui sont difficiles à expliquer avec des mots tant que l’on n’a pas fait l’expérience personnelle des sensations physiques et émotionnelles qui les sous-tendent.
Nous espérons donc que l’étude du sabre sera un raccourci vers l’expérience de ces sensations et l’acquisition de ces qualités.