Cet article doit se lire comme un complément aux réflexions que j’ai déjà partagées dans mes articles Pourquoi travailler les armes en Aïkido (écrit en 2013) et Sortir du labyrinthe des mains (écrit en 2022). Ce sont à la fois … Continuer la lecture
Pourquoi travailler les armes en Aïkido ? 2
Des arts martiaux au gainage intégral dynamique
Itinéraire
Depuis plus de 40 ans, j’ai expérimenté des pratiques corporelles visant à comprendre et préparer mon corps pour les arts martiaux ; parfois il s’agissait aussi de le réparer après des traumatismes et de prévenir des traumatismes futurs. Ainsi, à côté des échauffements et exercices spécifiques à la préparation du Karaté et de l’Aïkido (aïki taïso), j’ai aussi croisé, ou pratiqué plus assidument, plusieurs styles de Yoga, de Taï Chi et de Qi Gong, de stretching, de gainage, ainsi que la méthode Mézières de kinésithérapie.
Je me suis également interrogé et j’ai expérimenté avec mon propre corps différentes méthodes de préparation et de récupération pour la natation en eaux libres, la course avec chaussure ou en minimaliste , le vélo, le ski, etc.
Depuis quelques années, je pratique régulièrement le Hata Yoga avec une excellente enseignante, parallèlement j’ai approfondi par moi-même mon étude du Yoga pour l’orienter vers mon étude et mon enseignement des arts martiaux et j’ai ainsi découvert le travail de Bernadette de Gasquet.
L’approche posturo-respiratoire de Bernadette de Gasquet
Celle-ci procède d’une approche critique du Yoga au travers d’une réflexion plus générale sur la musculature abdominale, elle a été popularisée dans ses livres « Abdominaux. Arrêtez le massacre ! » (Ed. Marabout, Avril 2009) et « Yoga sans dégâts ! » (Ed. Marabout, juin 2020).
Enfin, plus récemment, l’application de cette approche à des sportifs de haut-niveau dans le cadre de l’INSEP a été présentée dans le livre qu’elle a écrit avec le champion olympique de Judo, Teddy Riner, également enrichi de témoignages de préparateurs physiques de nombreuses disciplines « La puissance insoupçonnée du gainage » (Ed. Marabout, Avril 2021). C’est cela qui aboutit à la notion de gainage intégral.
Ma démarche est désormais d’intégrer cette pratique, d’abord dans la formation à l’Aïkido et, au-delà, de la proposer à qui souhaite en bénéficier. Pour cela, je suis allé me former au sein de l’Institut de Gasquet où j’ai reçu une certification professionnelle.
Proposition
Si je viens des arts martiaux, il ne s’agit pas de faire un Aïkido ou un Yoga dévoyés et «bricolés» ; de même si je pars de l’Approche Posturo-Respiratoire de Gasquet et de son élaboration au sein de l’INSEP, ne s’agit pas d’imiter mais d’appliquer, d’intégrer et d’adapter. Le métissage entre la merveilleuse dynamique du mouvement en Aïkido (équilibre/déséquilibre, pivot/centrage, changement d’appui/ transfert du centre de gravité, etc.) et le gainage intégral offre un champ immense pour donner à tout type de pratiquants et de sportifs une solide, précise et sûre méthode pour compléter ses activités physiques ou compenser sa sédentarité.
Ce qui est recherché dans cette proposition c’est d’abord le bien être corporel et mental par un meilleur confort postural et l’élimination des douleurs et raideurs dorsales et articulaires. C’est ensuite la préparation à l’exercice physique par l’amélioration de la conscience de son corps, en statique comme en mouvement, et la perception fine de ses capacités comme de ses limites. C’est enfin la prévention des blessures et traumatismes, le développement de l’équilibre et de la proprioception, le renforcement de la musculature qui entoure, protège et engage chacune des articulations du corps.
Vous êtes bienvenu-e-s si cette découverte vous tente !
Jusqu’à la ceinture noire et au-delà. Des grades en Aïkido.
Le système de grade avec des ceintures de couleurs est assez récent dans les arts martiaux. Il n’est généralement pas utilisé en Aïkido, sauf peut-être dans les cours pour les enfants. Nous portons une ceinture blanche jusqu’au passage du grade de Shodan : le degré du débutant (degré = dan) où l’on porte une ceinture noire. « Débutant » voulant dire qu’on a appris toutes les techniques de base (kihon) et que l’étude « véritable » de l’art martial peut commencer.
Dans les écoles anciennes, les maîtres à la tête des écoles (Sôke = chef de famille) ne donnaient pas vraiment de « grade ». Pourquoi l’auraient-ils fait ? on utilisait les arts martiaux pour se battre pour de bon. Ceux qui voulaient à leur tour enseigner recevaient des diplômes sous forme de listes attestant les techniques qu’ils connaissaient, ce diplôme valait autorisation d’enseignement des seules techniques de la liste. Le diplôme le plus élevé Menkyo Kaden attestant la connaissance complète d’une école et par là une autorisation complète d’enseignement. Autant dire qu’un Sôke n’en donnait que 2 ou 3 dans toute sa vie.
Les grades donnés par l’Aïkikaï depuis le centre de l’Aïkido
Au dojo central (Hombu Dojo) de l’Aïkikaï à Tôkyô le système de grade compte des 5 grades avant la ceinture noire (décomptés en ordre inverse de 5e à 1er Kyu), puis 4 grades dan. Chacun de ces grades doit correspondre à un temps minimum de pratique effective et, à la connaissance correcte d’une liste de techniques correspondants à une nomenclature précise jusqu’au 1er Kyu, puis à la capacité d’une mise en œuvre de manière de plus en plus fine, efficace, opportune et spontanée de ces techniques et de leurs applications à partir de la ceinture noire (1er dan, Shodan).
Il y a deux étapes importantes dans cette progression : Shodan, car cela veut dire que l’on connait toutes les techniques de base (Kihon) répertoriées dans la nomenclature et Yondan (4e dan) car c’est le niveau auxquels on peut commencer à enseigner.
Pratiquement, cela veut dire que quelqu’un qui s’entraine tous les jours peut passer sa ceinture noire en un an ou deux, ce peut être le cas de personnes souhaitant consacrer leur vie aux arts martiaux et rapidement enseigner professionnellement. Plus probablement un élève assidu mais « amateur » et s’entrainant 2 ou 3 fois par semaine mettra 4 ou 5 ans.
Pour la suite, celui ou celle qui veut devenir « professionnel », pourra viser de devenir 4e dan en 6 ou 7 ans. Pour prendre un exemple emblématique et qui nous est proche, Christian Tissier Shihan a 18 ans lorsqu’il arrive au Hombu Dojo en 1969, il déjà est 2e dan (il a commencé l’Aïkido à 11 ans) ; lorsqu’il rentre en France 6 ans plus tard, il est 4e dan. Entre ces deux moments il a pratiqué quotidiennement plusieurs heures par jour l’Aïkido ainsi que d’autres arts martiaux, notamment le Ken Jutsu du style Kashima Shin Ryu, ainsi que des sports de combat, notamment le Kick Boxing.
Notre amateur passionné qui aura passé son 1er dan en 4 ou 5 ans en s’entraînant 2 ou 3 fois par semaine, s’il persévère, sera sans doute 4e dan entre 10 et 15 ans après son Shodan.
Au-delà du 4e dan, il n’y a plus d’examen. En effet, les raisons de donner un grade au-delà ne sont pas seulement « techniques » (d’ailleurs même pour l’examen de 4e dan au Hombu Dojo, il faut écrire une dissertation, attestant aussi d’un niveau de réflexion et de culture). Le Maître d’Aïkido qui fait profession d’enseigner à partir de l’âge de 25-30 ans, sera 5e dan à la trentaine, 6e à la quarantaine, 7e à la cinquantaine. Ce grade atteste un niveau « technique » personnel, mais il atteste aussi de sa contribution à l’Aïkido « en général » en fonction de l’importance de son enseignement, de sa créativité, de son charisme.
Pour reprendre notre exemple Christian Tissier Shihan a ainsi été nommé 7e dan à 46 ans, en même temps que Miyamoto Tsuruzo Shihan, de 2 ans son cadet, qui a enseigné toute sa vie au Hombu Dojo. Enfin tous les deux ont été nommés 8e dan en 2016. Le grade le plus élevé donné par l’Aïkikaï, est le 9e dan, je crois qu’il n’y a que Hiroshi Tada Shihan qui ait ce grade aujourd’hui, il est né en 1926 .
L’amateur passionné deviendra peut-être 5e, 6e dan, voire 7e dan. Mais ni au même âge, ni avec le même niveau technique, ni pour les mêmes raisons que celles et ceux qui ont fait de l’enseignement de l’Aïkido leur métier.
Cette manière d’attribuer des grades est le mode « général » de fonctionnement dans le monde entier pour tous les dojos, groupes ou fédérations, affiliés à l’Aïkikaï.
Particularisme français
En France, l’Etat organise la pratique sportive au travers d’une puissante administration qui reconnait des fédérations sportives et leur délègue des politiques publiques. Les arts martiaux sont concernés par cette organisation et de ce fait … l’Etat français délivre des grades dan ! Plus précisément les fédérations bénéficiant d’une délégation de service public délivrent des grades dan qui sont des « grades d’Etat ».
En Aïkido, pour des raisons historiques nous avons deux fédérations qui sont à la fois reconnues par l’Etat français et affiliées à l’Aïkikaï, la FFAAA, dont est membre Neko Aïkiclub, et la FFAB. Ces fédérations délivrent donc des « grades dan d’Etat » sous le label « union des fédérations d’Aïkido » (UFA). Les examens à ces grades sont organisés à l’échelle régionale ou nationale, les niveaux kyu existent également et sont attribués au sein de chaque dojo.
Le principe de progression est largement inspiré du modèle de l’Aïkikaï que nous avons vu plus haut, avec 5 kyu correspondant à des examens passés dans chaque dojo et 8 dan. Il y a toutefois quelques différences dont le nombre de techniques demandées pour les examens kyu, ainsi que la pratiques des armes pour les examens dan, enfin il existe depuis 2022 un examen pour le grade français de 5e dan.
Tous les pratiquants de Neko Aïkiclub ont reçu un « Guide du débutant » avec leur première licence avec la nomenclature des techniques et le programme des examens, la progression est en pages 10 & 11. Si vous ne l’avez pas, vous pouvez le retrouver ici.
Pratiquement pourquoi passer les examens
Nous ne sommes plus à l’époque où l’on apprenait les arts martiaux pour se battre à la guerre ; nous avons une pratique de loisir d’éducation physique et mentale avec un objectif de développement personnel. Comme dans tout apprentissage sportif ou artistique, nous avons besoin d’objectifs intermédiaires « concrets » et atteignables en remplissant des conditions que l’on peut décrire clairement : le nombre d’heures d’entrainement et la connaissance suffisante des techniques répertoriées dans la nomenclature.
Il faut donc passer les examens Kyu dans son dojo dès que l’on remplit la condition d’heures d’entrainement, le résultat de l’examen permet de déterminer si la seconde condition est remplie ou pas. Si l’on échoue, ce n’est pas une punition, c’est le moyen de s’améliorer pour atteindre l’objectif en repérant les points de progression.
Il faut ensuite, au bout de quelques années, passer son Shodan pour des raisons différentes :
- D’abord rares sont les personnes qui échappent au plaisir narcissique de porter une ceinture noire. C’est un plaisir dont il ne faut pas se priver, les Arts Martiaux sont une école de confiance en soi.
- Pour arriver à ce niveau, il faut faire des stages où l’on sort de la zone de confort de son dojo en rencontrant d’autres partenaires et d’autres enseignants. La liste des bienfaits des stages est tellement longue que je ne vais pas la développer ici. Je dirais au moins que « sortir de sa zone de confort » c’est un bon remède contre un narcissisme excessif, les Arts Martiaux sont aussi une école de modestie.
- Enfin, dès lors qu’on est Shodan, si l’on veut continuer à progresser c’est bien aussi de commencer à réfléchir plus largement à la pratique de l’Aïkido. Pour cela l’école des cadres qui permet de préparer le Brevet fédéral de professeur assistant d’Aïkido est une très bonne solution, or il faut être Shodan pour s’y inscrire.
On ne va pas présenter l’examen de Shodan, ni les examens correspondant aux grades suivants, « tout seul ». C’est le professeur du Dojo où l’on s’entraine régulièrement qui décide, signe et transmet le formulaire d’inscription à l’examen. Il y a des stages spécifiques de préparation organisés à l’échelle régionale ou nationale. La route est donc bien balisée.
Avant d’en arriver à ce Shodan qui est un point de départ : amusez-vous ! O Senseï avait affiché dans son Dojo de 1932 un texte concernant l’état d’esprit dans l’entrainement en Aïkido, le 3e « commandement » en était : « Pratiquez dans la joie ! »
Sortir du labyrinthe des mains
J’ai 63 ans et j’ai commencé à étudier les arts martiaux à 16 ans, à ce point de ma recherche je privilégie l’étude du Jo (bâton, Aïkijo) à celle du Ken (sabre, Aïkiken), même si bien entendu les élèves de Neko Aïkiclub reçoivent l’enseignement de base avec ces deux armes. Dans la formation physique et mentale à, et par, l’Aïkido, la pratique de ces armes a des intérêts différents et spécifiques.
Recherche
Le bâton permet de développer l’ambidextrie, non seulement des mains mais de l’ensemble du corps, la tenue asymétrique du sabre bride ce développement. Les propos de Morita Monjûrô grand maître de Kendô du XXe siècle sont très clairs sur cet enjeu* :
« En Kendô, les difficultés viennent de ce que l’on tient le sabre à deux mains. Je me suis égaré dans un labyrinthe en appliquant différentes méthodes. Je ne réussissais pas à manier correctement le sabre et dépensais de l’énergie inutilement ».
En effet, en Kendô comme dans le sabre de l’Aïkido, on tient le sabre avec la main droite sous la garde et la main gauche à l’autre extrémité de la poignée, c’est le mouvement de levier entre les deux mains qui permet d’armer puis de couper. On se déplace donc, toujours en Kendô et presque toujours en Aïkiken, en avançant le pied droit qui est ensuite rattrapé par le pied gauche, et la réciproque pour reculer.
Ceci va à l’encontre de l’organisation du corps humain qui utilise et s’équilibre par des tensions diagonales : du pied gauche vers la main droite et réciproquement (étudiez votre façon de marcher !) qui se croisent au centre du corps (le bassin, les hanches, le ventre). La force, la stabilité de ce centre, la capacité de pivoter autour ainsi que de le mouvoir pour se déplacer en transmettant la force des appuis de pieds vers les mains, sont le point le plus important de la pratique des arts martiaux. En tout cas c’est ce que je retiens des arts martiaux d’origine japonaise, et je pense aujourd’hui que c’est même le point le plus important de toute pratique corporelle.
Dans ce centre du corps, les Maîtres japonais repèrent plus précisément le tanden et le koshi dont Morita Senseï nous dit que le koshi est situé au bas du dos et le tanden au bas du ventre :
« Le tanden et le koshi, situés de part et d’autre du corps, forment dans la pratique un ensemble. Chaque utilisation des muscles du koshi se transmet au tanden en le stimulant par pression, ce qui active positivement différentes parties du système nerveux. (…) La musculature du tanden et du koshi forment une unité, mais leurs rôles ne sont pas les mêmes. Le tanden commande le koshi. L’entrainement du koshi est synonyme d’entrainement du tanden et par là il devient un entrainement du corps et de l’esprit. Si l’on pense ainsi l’entrainement, chacune des techniques sert à renforcer la musculature du koshi et le tanden (…). Le maniement parfait du sabre en Kendô est produit par l’intégration de 3 éléments : la rotation du koshi, les tensions diagonales produites par cette rotation et le déplacement du corps. »
Nous autres, aïkidoka, n’avons aucune raison de nous imposer les affres que Morita Senseï a dû endurer pour sortir du labyrinthe dans lequel ses mains enfermaient tout son corps. L’Aïkido à main nue (taï jutsu) est symétrique et nous étudions les armes pour construire et perfectionner cette pratique à main nue. Avec le Jo nous avons une arme qui est parfaitement symétrique.
La pratique du Jo permet une ambidextrie complète : non seulement les deux mains peuvent jouer alternativement des rôles réciproques mais cette réciprocité s’étend aux tensions diagonales qui se croisent au centre du corps et s’organisent par l’action complémentaire du koshi et du tanden. Par sa longueur et sa légèreté, grâce au vaste répertoire de mouvements, de déplacements, de pivots que les techniques d’Aïkijo nous proposent, le bâton nous permet d’étudier de manière symétrique ces tensions. Dans les déclenchements de techniques où il faut bouger instantanément, le koshi peut propulser le tanden (irimi) avec autant de force dans toutes les directions, que l’on soit sur un pied ou sur l’autre. Simultanément, les mains peuvent changer de position sur le bâton, l’une peut le lancer pour lui permettre de tourner alors que l’autre le retient. Les tensions diagonales qui viennent des appuis de pieds et qui passent par le centre (la force du ventre) être instantanément transmises d’une main à l’autre, s’inverser, se compléter, s’équilibrer, de manière immédiate et réciproque.
Enseignement
Si je laisse de côté ma recherche personnelle, centrée sur mes propres progrès, pour reprendre mon rôle d’enseignant d’Aïkido, j’ajoute que tout cela se met parfaitement en place dans la pédagogie des différentes techniques à main nue. Les appuis, les pivots, les extensions du pied à la main opposée, les effets de balancier entre les deux bras et les deux jambes lors des changements d’hanmi seront mis en œuvre en même temps que le déplacement correct du bassin et du centre dès lors que l’on a un bâton dans les mains. Les nombreuses transitions entre Aïkijo et taï jutsu que permettent les études de Jo dori et de Jo nage permettront ensuite d’installer ces « maniements parfaits » dans la pratique à main nue.
Enfin, et ce ne sont pas les moindres qualités utiles à l’enseignant, le travail au bâton est ludique lorsqu’on s’amuse à deux partenaires, il permet aussi de s’entrainer seul et il se pratique aisément en plein air. Dernier avantage, en démonstration il est harmonieux et spectaculaire.
(*Les citations sont issues de la traduction que Kenji Tokistu donne d’extraits de l’ouvrage de Morita Monjûrô, Koshi to tanden de okanau kendô (Le Kendô à partir du bassin et du tanden), paru à Tokyo en 1987. In Kenji Tokitsu, Miyamoto Musashi, maître de sabre japonais du XVIIe siècle, Ed. DesIris 1998.)
Aïkido et philosophie (Réflexions sur l’Aïkido moderne 2)
Dans une série de podcasts « philosophie et arts martiaux » France Culture donne la parole à Coralie Camilli (2e dan d’Aïkido et docteure en philosophie) qui y développe des idées qu’elle a déjà exposées dans un ouvrage publié l’année dernière.
Je suis complètement d’accord avec la manière dont elle aborde la question : en tenant à la « bonne distance » les traditions philosophiques et religieuses orientales et en resituant notre pratique de l’Aïkido dans notre propre culture philosophique et notre histoire de la pensée. Il ne s’agit pas de couper l’Aïkido de son histoire et de ses racines, il s’agit de nous l’approprier et d’éviter un double écueil :
- Le premier serait de ne faire de l’Aïkido qu’une « pratique sportive » dans laquelle il n’y aurait finalement pas de dimension psychologique, esthétique, éthique et éducative, ni finalement d’enseignement de « sagesse » (pour revenir à l’étymologie de Philosophie).
- Le second serait qu’à la recherche de cette philosophie, nous nous croyions obligés d’acquérir, généralement de manière biaisée par la langue et la traduction, un bagage complètement erroné et abracadabrant en religions et philosophies orientales (on voit déjà qu’énoncer des mots aussi culturellement occidentaux de « philosophie » et « religion », assure qu’on est en train de se perdre).
Comme beaucoup de pratiquants j’ai commencé à m’intéresser à la philosophie des arts martiaux en lisant l’ouvrage d’Eugen Herrigel « Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc », dans lequel il relate son étude du Kyudo (tir à l’arc) durant ses 6 ans de vie dans le Japon de 1920. Comme peu de pratiquants j’ai eu la chance d’assister à une conférence donnée par Maître Risuke Otake lors de son voyage en Europe en 1980. Lorsqu’en référence à l’ouvrage d’Herrigel, la question fut posée à Maître Otake des rapports entre le bouddhisme zen et les arts martiaux, celui-ci avait gentiment « remis les pendules à l’heure » :
Professeur de philosophie Eugen Herrigel était venu au Japon pour étudier le bouddhisme zen, il avait donc fait passer toute son expérience japonaise sous l’horizon de son sujet d’étude. Les arts martiaux japonais avaient bien une empreinte religieuse : le Shintoïsme, mais cela ne concernait que les japonais, puisque par définition le shintoïsme est la mythologie proprement japonaise. Si des pratiquants étaient bouddhistes ou chrétiens, ou autre chose d’important pour eux, il était normal qu’ils mettent cette « autre chose importante » dans leur pratique des arts martiaux mais chercher à adhérer à des croyances ou à s’approprier des systèmes philosophiques particuliers n’avait rien à voir avec la pratique.
Cette position, qui à la fois laïcise et rend universels les arts martiaux, je l’ai retrouvée finement décrite dans le passionnant ouvrage « Bushido and the art of living » d’Alexander Bennett. 7e dan de Kendo et pratiquant de haut-niveau de plusieurs arts martiaux, Alexander Bennett vit au Japon depuis plusieurs décennies, il est Professeur à l’Université de Kansaï. Cet ouvrage n’est malheureusement pas traduit en français, mais cette longue interview sous-titrée permettra d’accéder à cette explication (les impatient-e-s peuvent aller directement à la vidéo n°4 mais ils/elles perdront un bonne occasion de réfléchir à leur propre pratique) :
Les arts martiaux (budo) sont un cadre (framework) pour votre propre philosophie de vie, ils vous rendront meilleur, c’est-à-dire un meilleur être humain, ils vous perfectionneront mentalement, relationnellement, éthiquement.
Les arts martiaux, pour nous l’Aïkido, nous feront « bien-vivre », mener une « bonne vie », au sens que cela a dans notre propre histoire philosophique (Aristote, Spinoza, etc., ou tout autre système de pensée ou de croyance qui vous conviendra, il n’est pas utile de vous précipiter à la bibliothèque pour vous approprier l’Aïkido ! Vous êtes déjà imprégnés de cette « histoire de la pensée » par le simple fait que vous lisez ces mots en français et au XXIe siècle !).
En revanche « devenir meilleur » par l’Aïkido, ce n’est pas donné, ce n’est pas « naturel », il faut le rechercher volontairement : c’est une « voie » do, à suivre longuement. Comme la pratique des arts martiaux perfectionnera votre corps et vos mouvements à force d’efforts réguliers, d’autodiscipline et de persévérance, elle perfectionnera votre esprit.
Mais ce seront toujours votre propre corps et votre propre esprit, vous ne serez jamais ni physiquement, ni mentalement un japonais, a fortiori un japonais des temps anciens. L’Aïkido c’est ici et maintenant que nous le faisons.
Faire de l’Aïkido, c’est bouger intelligemment (Réflexions sur l’Aïkido moderne 1)
En janvier 2016 Christian TISSIER Shihan a été promu au grade de 8e dan au sein de l’Aïkikaï, il a été ainsi le premier non japonais à accéder à ce grade. Cette promotion a été déjà célébrée et commentée, au-delà de ce caractère d’événement elle donne l’occasion de réfléchir à l’histoire de l’Aïkido et à ce que ce que cela signifie dans cette histoire de voir un occidental, figure de proue de la diffusion de l’Aïkido dans le monde, d’accéder à ce niveau. Qu’est-ce que faire de l’Aïkido hors de la culture japonaise et qu’est-ce que l’Aïkido dans le premier quart du XXIe siècle ?
Dans cette interview vidéo donnée à l’occasion de sa promotion, Christian TISSIER dit plusieurs choses que je trouve très éclairantes pour la pratique contemporaine :
En aïkido « il y a toujours cette notion qui n’est pas où est-ce que je t’amène, où est-ce que je te tire, où est-ce que je te pousse ; mais où est-ce qu’on se rencontre ». Plus loin il ajoute, à propos des arts martiaux en général et de l’Aïkido en particulier : « Il faut bouger ! On a un corps, il faut l’utiliser mais il faut l’utiliser intelligemment, du mieux qu’on peut et, très sincèrement tous les arts martiaux quels qu’ils soient permettent de bouger intelligemment. L’Aïkido a un autre avantage, c’est que l’on peut commencer à 5 ans et à 80 ans être encore sur le tapis, parce que la pratique est dosée et, surtout, c’est un merveilleux système d’éducation ».
Faire de l’Aïkido c’est donc appendre à utiliser intelligemment son corps et ainsi s’éduquer intelligemment dans son comportement et sa relation à autrui. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait tout seul, ni quelque chose que l’on fait à un autre, mais bien quelque chose que l’on fait avec un autre. Le niveau d’intensité et de contrainte physique peut être modulé pour pratiquer à tous les âges. Ce que l’on cherche à atteindre dans cette discipline corporelle c’est la perfection des mouvements.
Cette description pourrait sans doute correspondre à d’autres pratiques corporelles, telle la danse. C’est le prétexte et le but qui l’oriente qui fait la différence. Dans la danse le prétexte c’est l’expression des émotions et le but qui fonde le critère de perfection des gestes c’est l’esthétique.
Dans l’art martial, le prétexte c’est le combat, et le critère qui guide la recherche de perfection c’est l’efficience face au danger : les mouvements ferment les ouvertures par lesquelles les attaques menacent notre corps et créent celles par lesquelles nos techniques éteindront le danger en rendant l’attaquant inoffensif ; c’est cela l’intelligence du mouvement et c’est cela qui nous éduque à bouger.
L’intérêt des arts martiaux contemporains n’est donc pas de « se battre pour de bon », ni même « d’apprendre à se défendre », même si c’est souvent la motivation première du nouveau pratiquant et même si cela peut effectivement aussi servir à cela. Comme le dit Guillaume Erard en conclusion d’un article dont je recommande la lecture in extenso : » si l’on veut vraiment apprendre quelque chose de purement pratique, que ce soit une méthode de combat ou de self-défense, je suggérerais de se tourner vers les disciplines militaires ou policières modernes qui sont bien mieux conçues et adaptées à l’environnement actuel. Entre développement personnel et efficacité, on est libre de choisir où mettre le curseur, mais il faut toujours garder en tête que privilégier le second équivaut à nier la nature même de nos disciplines. »
Points de repères pour les premiers cours
L’étiquette et la pratique
De son origine japonaise l’Aïkido conserve un vocabulaire, des institutions et le respect d’une étiquette traditionnelle. Sans sombrer dans un orientalisme folklorique et sans contenu, des règles d’étiquette issues de la tradition martiale japonaise sont respectées. Elles favorisent la sécurité et la concentration ainsi que la convivialité et le respect mutuel lors des entraînements. Le débutant s’y conforme par imitation, les principales sont expliquées lors des premiers cours, les autres sont assimilées progressivement au fur et à mesure que l’observation s’affine.
Relations professeur – élèves
Le mot japonais pour « professeur » est « senseï », il est souvent traduit en français par « maître » ce qui donne une connotation un peu ésotérique qui ne doit pas être retenue : les arts martiaux n’incorporent ni mystique, ni doctrine philosophique. En revanche ils impliquent des comportements disciplinés et respectueux d’une hiérarchie du savoir et de l’antériorité dans la pratique. Pendant l’entraînement, toutes les consignes doivent être suivies rapidement et en silence, elles ne sont ni questionnées ni discutées. Les questions sont bien sûr légitimes à la fin des cours, traditionnellement, elles sont posées par les débutants (kohaï) aux plus avancés (sempaï) qui éventuellement vont demander au senseï de donner des explications lors du prochain cours.
Le fondateur de l’Aïkido Moriheï Ueshiba est appelé « ô senseï », le « grand professeur » ; le dirigeant de l’Aïkikaï, actuellement son petit-fils Moriteru Ueshiba, est le « doshu » : le « maître de la voie ».
Il y a un système de grade en Aïkido : on porte une ceinture blanche et on passe par les grades de 5e à 1er Kyu ; ensuite on devient ceinture noire 1er dan, puis 2e dan, etc. Le plus haut grade accordé aujourd’hui par l’Aïkikaï est le 9e dan.
En France on peut présenter le diplôme d’Etat de professeur dès le 2e dan, mais dans le système japonais traditionnel le grade où un « élève-maître » commence à enseigner est le 4e dan. Il est habituel d’appeler un professeur « maître » ou « senseï » à partir du 5e dan.
Les professeurs de très haut niveau et d’une très grande exemplarité peuvent également se voir accordé le titre de Shihan, « enseignant modèle ».
Observer, reproduire, expérimenter
L’Aïkido est une pratique corporelle : on ne doit pas parler pendant l’entraînement mais observer, reproduire, expérimenter.
Enseigner
Dans la pédagogie japonaise traditionnelle, l’enseignant ne parle pas, il montre la technique et, souvent, il ne la montre qu’une seule fois. Les élèves doivent faire un effort intense de concentration pour regarder, capter le maximum d’informations importantes et de détails, puis ils reproduisent… et se trompent.
Dans la pratique, le plus ancien (sempaï) fait sentir au débutant (kohaï) les défauts qu’il perçoit ; le professeur passe exécuter une ou deux techniques avec chacun, il donne ainsi l’occasion de ressentir physiquement et de regarder à nouveau… Cela se fait toujours sans explication orale. Chaque pratiquant entre ainsi dans une démarche expérimentale d’essai-erreur-correction et s’approprie progressivement la technique avec son propre corps.
En occident on veut raccourcir cette phase d’appropriation corporelle et pratique en donnant des explications visant à limiter le nombre d’erreurs et de défauts qu’il faudra progressivement corriger. Le principal avantage de cette pédagogie est que nous en avons l’habitude, c’est comme cela que nous nous attendons à être enseignés.
En revanche elle a de nombreux inconvénients, notamment pour le professeur : il est difficile de bien montrer quelque chose avec son corps tout en parlant pour donner des explications. Il faut alors arrêter le mouvement pour pouvoir parler, mais c’est une catastrophe sur le plan pédagogique puisque cela laisse les élèves avec l’observation d’un mouvement qui peut s’arrêter ce qui est une totale aberration : du déclenchement par l’attaque jusqu’à sa conclusion par une immobilisation ou une projection, une technique ne s’arrête jamais.
Apprendre
Cette pédagogie limite également la capacité de progression de l’élève : pour apprendre il faut observer, imiter, se tromper, corriger ses erreurs et finalement comprendre grâce à l’expérience des sensations corporelles. Les explications orales, même du meilleur des professeurs, et une volonté de comprendre trop « intellectuelle », même du plus intelligent des élèves, ne servent à rien.
Idéalement l’enseignant montre la technique plusieurs fois sous différents angles, la bonne façon de regarder est l’inverse de ce que l’on a l’habitude de faire : habituellement on regarde le haut (le visage) puis les mains qui semblent réaliser le principal de l’action en frappant, saisissant, projetant, coupant, etc. Rien n’est plus inapproprié !
Il faut d’abord regarder à partir du bas : les appuis des pieds au sol permettent de se déplacer puis de transmettre la force des jambes et des déséquilibres, cette force passe par le centre du corps et s’exerce sur le centre de gravité de l’attaquant (Uke).
Bien observer c’est en premier être capable de reproduire les déplacements. Lorsque c’est acquis il faut alors ajouter progressivement les autres aspects de la technique au dessus.
Se tromper avec enthousiasme, se corriger avec patience
Faire des progrès c’est corriger des erreurs. Il ne faut donc pas être inhibé par la peur de « faire mal » ou un désir démesuré de « faire bien ». De même il ne faut pas être trop pressé d’avoir des résultats. Les gratifications d’une pratique régulière et disciplinée viendront d’un seul coup, sans prévenir, on ne peut pas « forcer » le moment où cela va surgir. Un jour, d’un seul coup, vous allez ressentir le plaisir de la sensation du mouvement juste au moment juste et cela sera pour toujours, l’Aïkido est l’affaire d’une vie.
La force et la mobilité
Souvent on explique la technique dans les arts martiaux par l’aphorisme : « avoir le maximum de résultat en employant le minimum de force ». Pour l’Aïkido (voie de l’harmonie des énergies) comme pour le Judo (voie de la souplesse) on renforce cette explication en disant que les techniques de ces disciplines visent à « utiliser la force de l’adversaire pour le vaincre ».
La force
Lorsqu’on voit l’entrainement de musculation et de développement de la force explosive auquel sont soumis les compétiteurs de Judo, on devine bien que ces explications sont très réductrices.
Pour développer cette explication en restant dans le domaine des arts martiaux (et non pas du Judo comme sport de compétition) et de l’Aïkido en particulier retenons d’abord deux éléments :
1°) Les techniques sont destinées à vaincre dans des situations asymétriques, c’est-à-dire où l’adversaire est plus fort physiquement (ou parce qu’il est armé, qu’il attaque par surprise, qu’il est plus nombreux, etc.). Le but de l’étude et de l’entraînement aux techniques n’est donc pas de devenir plus fort physiquement que l’adversaire. En revanche la mise en œuvre ces techniques exige quand même de développer une force suffisante pour pouvoir les exécuter avec efficacité.
2°) La pratique de l’Aïkido rend plus fort parce que c’est une éducation physique très complète. Plus précisément, elle rend robuste, parce qu’au cours d’une séance d’entraînement, tout le corps est sollicité pour un travail musculaire consistant à saisir, à pousser, à se relever depuis le sol, à fléchir sur ses appuis, etc. Elle construit donc la force musculaire de l’ensemble du corps et l’endurance cardio-respiratoire.
L’acquisition progressive de cette robustesse n’est d’ailleurs qu’une partie des qualités physiques que l’on acquiert et des bénéfices que l’on retire de la pratique, il faut y ajouter le développement de l’équilibre, de la souplesse, de la proprioception, de l’amplitude articulaire, de la sûreté des déplacements, de l’habileté des gestes, de la coordination des mouvements, etc.
Toutes ces qualités physiques, parmi lesquelles une force suffisante, sont nécessaires pour exécuter les techniques d’Aïkido. Réciproquement, c’est la pratique répétée de ces techniques comme Tori et comme Uke, qui développe ces qualités chez l’aïkidoka. La force que l’on va acquérir grâce à cette pratique n’a pas à être plus importante que celle de l’adversaire, puisque par principe on s’attend toujours à ce qu’il soit « plus fort ». En revanche, cette force doit être suffisante pour mettre en œuvre la technique adaptée à un moment et à un endroit où l’adversaire est vulnérable.
Être au bon endroit au bon moment
Pour le débutant, jusqu’au grade de Shodan (ceinture noire), l’essentiel de l’entrainement d’Aïkido va consister à apprendre à exécuter les techniques et simultanément à développer les qualités physiques que cet apprentissage induit. Ensuite, pour le pratiquant expérimenté, l’étude de l’Aïkido consiste essentiellement à créer, par des déplacements et des mouvements, un moment et un endroit où une technique pourra être placée avec efficacité sur un adversaire même s’il plus fort, plus rapide, plus mobile (hanmi hantachi waza), armé (buki waza), ou supérieur en nombre( kakari geïko).
Cette étude est infinie, passionnante, jubilatoire. Même en vieillissant on n’y rencontre pas de limite corporelle tant que l’on peut se déplacer : pour créer la conjonction du bon moment, du bon endroit et de la bonne technique un jeune Yudansha (gradé) aura besoin de faire beaucoup de déplacements, avec des mouvements de grande amplitude, le rythme de son action sera rapide avec des accélérations similaires à celles d’une épreuve sportive. A contrario un vieux maître, sans avoir besoin de se déplacer beaucoup, ni de donner une impression de vitesse et de puissance gestuelle, n’aura besoin que d’une seconde et d’un m² pour mettre son adversaire dans une situation de déséquilibre et vulnérabilité où la technique passera « toute seule ».
La mobilité : ma-aï et taï-atari
Dans le vocabulaire japonais des arts martiaux, les notions d’ « endroit » et de « moment » sont rendues par un concept unique : le ma-aï. Avant de tenter une traduction , on peut bien comprendre ce dont il s’agit en regardant ces images du boxeur de légende Mohamed Ali (Cassius Clay – l’idée d’illustrer la notion de ma-aï par cette vidéo vient d’un post du blog Budo No Nayami).
Il est mobile de façon à être sans cesse au bon endroit au bon moment, c’est-à-dire qu’il se déplace en fonction des attaques de son adversaire pour se mettre toujours à la limite précise où il va éviter les coups tout en étant encore assez près de lui pour pouvoir à son tour le frapper. On remarque que dans la plupart des cas Mohamed Ali ne donne jamais l’impression d’accélérer ou de se dépêcher mais qu’au contraire il semble se déplacer avant même que son adversaire lance son poing : même s’il est touché, il n’est qu’effleuré par les gants et l’énergie du coup qu’il reçoit s’est déjà épuisée. Il n’a presque jamais besoin de faire de grands mouvements d’esquive qui lui feraient quitter la distance idéale où il peut à son tour attaquer, son propre coup de poing peut alors surgir au moment favorable pour frapper de plein fouet un adversaire qui n’a même pas pu voir le déclenchement de l’attaque. Lorsqu’il a vraiment besoin de se déplacer pour retrouver une vision d’ensemble, il rompt clairement cette distance par quelques grandes enjambées qui lui font traverser le ring et lui permettent de regarder « tranquillement » l’autre boxeur s’approcher afin, au sens strict, de « prendre la mesure » de ses possibilités de déplacement et de mouvement.
Même s’il n’a jamais pratiqué les arts martiaux japonais, Mohamed Ali maîtrise donc le ma-aï.
Ma-aï, la distance dynamique
L’idéogramme « aï » se traduit par « le même », « en harmonie », comme dans Aïkido (voie de l’harmonie des énergies). L’idéogramme « ma » vient de l’architecture, c’est l’intervalle entre deux piliers auxquelx viennent d’accrocher les battants d’une porte, c’est une notion très importante pour l’architecture traditionnelle japonaise, à la fois pour des raisons fonctionnelles évidentes : le « ma » conditionne la taille de chaque battant, leur débattement, la taille du seuil permettant l’ouverture de la porte, etc. et, par conséquent, pour des raisons esthétiques de perspective, de symétrie et d’équilibre des formes et des volumes de l’édifice.
Dans toute phase de combat, les adversaires sont d’abord à une distance où ils ne peuvent pas s’atteindre mais qui leur permet de s’évaluer. Cette distance est relative et dépend des adversaires, qui sont plus ou moins grands, combattent à mains nues ou avec des armes plus ou moins longues et qui se perçoivent mutuellement comme plus ou moins rapides et plus ou moins habiles. Chacun a donc son propre « ma », mais il ne l’a qu’en tenant compte, « aï », de celui de son adversaire ; ce ma-aï en même temps les sépare et les relie : que l’un se déplace ou saisisse une arme, le ma-aï qui les relie est modifié et l’autre va devoir se déplacer ou changer sa garde pour l’adapter au nouveau ma-aï, ce faisant il va à son tour changer le ma-aï, etc.
Ce processus peut prendre une fraction de seconde ou être plus long, comme dans le round d’observation qui ouvre souvent les combats de Boxe ; il peut consister en de nombreux déplacements amples et rapides ou procéder d’ajustements à peine discernables de l’extérieur, comme c’est parfois le cas dans les combats de Kendo.
Parfois, dans ces combats, la supériorité de la maîtrise du ma-aï par l’un des duellistes est telle que l’autre va admettre sa défaite et renoncer sans qu’il y ait eu d’attaque.
En général toutefois l’attaquant (Uke) va prendre l’initiative d’entrer dans une distance où il pourra frapper son adversaire (Tori), c’est à partir de cette situation que se construisent toutes les techniques d’Aïkido.
Taï-atari
En Aïkido, l’attaque est toujours le moteur de la technique que l’on va exécuter pour se défendre : le déclenchement de l’attaque d’Uke va déclencher un déplacement synchrone de Tori visant à sortir de l’axe de l’attaque en se plaçant dans une distance et sous un angle favorable pour prendre contact avec le corps d’Uke placé en situation de vulnérabilité.
En Aïkido, on emploie « taï-atari » pour désigner l’instant du premier contact physique entre Uke et Tori, mais littéralement cela signifie « frapper avec le corps ».
Ce premier temps d’une technique est, si l’on s’intéresse à l’efficacité en combat, le déterminant : selon la discipline pratiquée, le taï-atari pourra être un coup définitif (un atemi sur un point vital ou porté avec une arme) ou un premier coup incapacitant avant d’enchaîner d’autres coups, un balayage, une clef ou une projection ; dans tous les cas la technique vise une mise hors de combat rapide.
Ces techniques, pragmatiques, efficientes et rapides viennent du Daïto Ryu, qui existe depuis près de 1000 ans et dont l’Aïkido du XXe siècle est en grande partie issu, elles sont conservées dans des écoles d’Aïkido crées par des maîtres qu’O Senseï Morihei Ueshiba avait formés dans les années 1930. Ces acteurs ont ensuite développé leurs propres démarches avec son aval, ainsi l’Aïkido Yoshinkan fondé par maître Gozo Shioda en 1955 ou l’Aïkido Yoseïkan fondé par maître Minoru Mochizuki qui se développe en France depuis 1951 sous le nom d’Aïkibudo.
L’Aïkido « moderne », qui se répand à partir des années 1970 depuis le dojo central (hombu dojo) de l’Aïkikaï à Tokyo, se développe dans un sens moins pragmatique. Il vise plutôt à enchaîner d’autres temps à la suite du taï-atari, sans inhiber le mouvement d’Uke mais au contraire en le guidant et en l’amplifiant de façon à le précipiter dans une succession de déséquilibres qui l’amèneront quasiment « tout seul » à redevenir inoffensif, soit parce qu’il sera expulsé du ma-aï par une projection, soit parce qu’il y restera paralysé par une immobilisation.
Conclusions ?
C’est plutôt dans cette démarche que nous nous situons à Neko Aïkiclub avec une recherche de fluidité à partir d’un développement de la mobilité. Il est important toutefois de bien comprendre que ces différentes approches ne sont pas exclusives les unes des autres mais qu’au contraire une étude approfondie de l’Aïkido conduit à les intégrer. On trouvera de passionnantes explications sur ce sujet dans cette interview d’Olivier Gaurin, qui pratique au Japon à la fois au Hombu Dojo de l’Aïkikaï et dans un dojo de Daïto Ryu.
Enfin il faut noter, sans le développer parce que cela conduirait à sortir du cadre de cet article, que la notion d’Aïkido « moderne » est à relativiser car tout l’Aïkido, et même tout que nous appelons Budo, est par construction « moderne » aux sens historique, sociologique et éthique de ce mot.
Interviews de Christian Tissier Shihan
Nous reproduisons ici des extraits de deux interviews données par Christian Tissier Shihan récupérées sur des blogs de pratiquants.
Christian Tissier Senseï est l’inspirateur, l’animateur et le leader du style d’Aïkido que nous pratiquons et enseignons. En 2016, il a été promu au grade de 8e dan par l’Aïkikaï, devenant ainsi le premier non japonais à atteindre ce niveau.
Comme il est une des références majeures de l’Aïkido international, il a tout à la fois des thuriféraires et des critiques qui ne sont pas les uns comme les autres exempts d’exagération pour parler de sa pratique et de sa personnalité.
Les deux interviews remettent les choses et son rôle à leurs justes places : c’est lui même qui raconte sa formation et sa filiation technique avec le Doshu Kisshomaru Ueshiba et Yamaguchi Senseï, explique le sens de son travail aujourd’hui, donne son avis sur l’enseignement au Japon, sur les qualités et les défauts des autres experts, les différences et parfois la conflictualité entre les différentes écoles de l’Aïkido contemporain.
(En cliquant les titres ci-dessous on peut voir l’intégralité des interviews sur les sites d’où j’ai copié les extraits, les vidéos ci-dessous ne figurent pas nécessairement dans les documents originaux et des photos ont été supprimées).Interview de Christian Tissier : Recherche de la perfection
Cette première interview est extraite de Tsubaki Journal , le site web édité par Léo Tamaki où elle a été publiée en 2007. Léo Tamaki édite aujourd’hui le blog Budo no nayami qui informe notamment sur son activité d’enseignant. Cette interview a une saveur particulière pour nous parce qu’elle raconte l’anecdote amusante des débuts de Christian Tissier en Kick Boxing avec Lilou Nadénicek, notre professeur au Kiaï club, et que nous connaissons aussi une version de la bouche de ce dernier, similaire mais avec des détails encore plus droles.
On ne présente plus Christian Tissier. Parti à dix-huit ans au Japon pour six mois il y restera finalement sept ans et deviendra l’un des plus célèbres experts d’Aïkido de notre époque. Il a bien voulu répondre à nos questions sur son parcours, la pratique et le monde de l’Aïkido. Interview sans langue de bois.
Vous êtes parti au Japon à l’âge de 18 ans, c’était une grande décision pour quelqu’un de cet âge.
(rires) Il faut replacer les choses dans leur contexte. En 68 il y avait eu les évènements. Depuis les gens partaient à Katmandou, en Inde ou au Mexique. J’avais aussi envie de voyager avant d’entamer des études supérieures et j’ai décidé de partir au Japon. Je pratiquais déjà l’Aïkido et je me suis dit que j’allais aller passer six mois là-bas et que ce serait bon.
Comme pour beaucoup de gamins mes parents n’avaient pas spécialement d’argent alors j’ai cumulé les boulots, aux Halles et comme déménageur. Dès que j’ai eu l’argent j’ai pris un billet par le transsibérien. On ne peut pas se rendre compte maintenant mais à l’époque c’était impensable de prendre l’avion, il n’y avait qu’un vol par semaine avec Air France. J’ai donc fait trois semaines de train et je suis arrivé à Tokyo.
A cette époque la distance impliquait une véritable séparation contrairement à aujourd’hui. Est-ce que vous avez eu des moments de solitude ?
Il y a eu quelques moments difficiles mais pas trop. C’est probablement une question d’âge et de caractère. Moi j’étais jeune, très ouvert et curieux.
J’ai été bien accueilli à l’Aïkikaï. Au départ c’était un peu bizarre parce que les gens se demandaient qui j’étais, ce que je faisais. A cette époque il y avait très peu d’étrangers. Alors un gamin qui arrivait comme ça éveillait la curiosité. Le Doshu me regardait du coin de l’œil et il se demandait si j’étais un fils de diplomate ou de business man.
Quand je suis arrivé au Japon on était vraiment très peu de français. Et tous les gens qui étaient là venaient pour le Budo. On était une communauté où on se connaissait tous, que l’on soir pratiquant de Karaté, Judo ou Kendo.
Ce n’est plus le cas maintenant car même dans l’Aïkido les gens se côtoient peu. Il y a des groupes, on s’aime on ne s’aime pas. Nous nous étions tellement peu nombreux qu’on se voyait partout et on a lié des amitiés qui durent toujours.
Donc des moments de solitude il y en a eu un peu, il y en a toujours, mais franchement, le côté matériel était plus difficile au départ.
Je n’avais pas d’argent parce que j’étais top jeune pour être crédible pour donner des cours de français. Mais j’ai eu un peu de chance. J’ai les yeux très clairs, bleus verts, j’étais plus mince que maintenant, il n’y avait pas beaucoup d’étrangers et j’ai beaucoup travaillé dans la mode comme modèle. Maintenant ça ne marcherait probablement plus parce qu’il y a de vrais professionnels mais à l’époque j’ai beaucoup travaillé comme cela et ça m’a permis de rester au Japon.
La chance a ensuite continué et je suis devenu enseignant de français dans diverses institutions jusqu’à être engagé à l’institut franco japonais où j’ai obtenu un poste qui me permettait de m’entraîner autant d’heures que je voulais avec peu d’heures de travail.
En général les japonais regardent les étrangers arrivant dans un dojo avec un mélange de suspicion et de curiosité. Quand avez-vous senti que vous étiez accepté ?
Il y avait de la curiosité effectivement mais je ne m’en rendais pas compte à l’époque. C’est rétrospectivement quand je me souviens comment ça s’est passé que je vois les choses.
J’allais à tous les cours. Parce que ça me passionnait bien sûr, mais en plus je n’avais rien d’autre à faire de toute façons car je n’avais pas un sou à mon arrivée. J’y étais le matin, j’y étais à trois heures, j’y étais jusqu’au soir. Donc assez vite comme ça j’ai sympathisé avec les gens.
J’étais 2ème dan déjà à l’époque mais franchement je n’avais pas un bon niveau. (rires) J’avais tout à revoir mais bon, je n’étais pas débutant, je savais chuter, je savais me protéger.
Je suis devenu copain très rapidement avec les uchi deshis de l’époque. Avec Endo, Suganuma, Toyoda qui est mort maintenant. Avec Yasuno aussi, Miyamoto qui est arrivé plus tard, puis Osawa senseï, Yokota senseï. C’est une période d’où sont issus les enseignants seniors de l’Aïkikaï d’aujourd’hui.
Et puis j’ai beaucoup travaillé avec quelqu’un qui avait une ceinture blanche à cette époque, Moriteru Ueshiba. Donc assez rapidement son père m’a pris un peu sous son aile avec Yamaguchi senseï.
Après j’ai commencé à être l’uke du doshu une fois par semaine, puis deux, et au bout d’un an j’étais l’un de ses principaux uke. J’ai aussi reçu la responsabilité de m’occuper des élèves étrangers ce qui m’a valu un petit signe honorifique sur mon keïkogi. (rires)
On travaillait tous comme ça à l’Aïkikaï autour du Doshu, de Yamaguchi senseï. Il n’y a donc pas un moment particulier qui me revient en mémoire parce que cela s’est fait très naturellement.
Est-ce que vous pensez qu’il est nécessaire d’aller étudier au Japon ?
C’est une question un peu difficile. Je pense que maintenant ce n’est plus nécessaire dans certains pays comme la France où il y a un bon niveau technique. Mais ça peut être intéressant d’y aller à partir d’un certain niveau dans la mesure où vous avez quelqu’un qui s’occupe de vous.
Le gros problème des gens qui vont au Japon, c’est que généralement ils sont souples, ils savent bouger un petit peu mais ils n’ont aucune construction. Très franchement souvent quand ils reviennent je ne les trouve pas bons.
Quand vous voyez les uchi deshis travailler à l’Aïkikaï, ce n’est pas du tout la façon dont travaillent les autres pratiquants. Ils sont très carrés. Parce que en dehors des cours on leur explique que c’est comme ça qu’il faut travailler.
Moi j’ai eu la chance d’être pris en main par le Doshu et Yamaguchi senseï et d’être ami avec Saotome senseï. J’étais jeune, ils m’aimaient bien et je pense qu’ils voyaient quelque chose en moi qui leur a plu. Donc ils ne me laissaient pas passer les choses. Ils m’ont enseigné comme on enseigne à un futur professionnel.
Ce qui n’est pas le cas de la majorité des gens. J’en connais qui sont restés vingt ans au Japon, avec qui c’est agréable de bosser, mais qui ne sont pas structurés, ni dans leur corps ni dans leur technique. C’est là le risque d’aller au Japon sans introduction.
C’est un peu dur à dire mais si on n’a pas d’introduction on est un touriste. Ça se passe bien, les senseïs sont sympas, ils vous prennent comme uke, mais ils ne vous considèrent pas comme quelqu’un qui va les représenter un jour et ne vous forment pas profondément.
Ceci mis à part, l’Aïkikaï reste très intéressant parce qu’il ouvre l’esprit au niveau de la technique. Il y a un ensemble de professeurs qui ont chacun une forme différente mais juste. On ne peut plus après être passé là-bas dire « C’est ça et pas autre chose. ». Quand on a vu Osawa senseï pratiquer d’une certaine manière, et X ou Y travailler d’une autre, on comprend que les mêmes principes s’expriment sous des formes différentes.
A l’époque je passais d’un maître à l’autre sans être gêné. Maintenant les gens s’attachent à la forme mais pas aux principes. Je peux le comprendre parce que je suis passé par là aussi. Mon deuxième jour au Japon je suis allé au cours du Doshu. Je le vois faire irimi nage et je me suis dit : « Mais qu’est ce que je fais là, il piétine, c’est nul ce qu’il fait. » Et là on comprend que les images que j’avais, ma référence, ce que je trouvais bon, c’est ce que moi j’avais toujours vu. Je ne voyais pas qu’il était souple et mobile. Mes références étaient limitées par mon manque de connaissances.
Vous expliquez que vous suiviez tous les cours, est-ce que vous considérez qu’il est important d’aller voir des enseignants différents ?
Je reviens d’un stage aux Etats-Unis où nous étions plusieurs enseignants, dont Ikeda Hiroshi. On a le même âge, on a beaucoup travaillé ensemble à l’Aïkikaï mais on s’était un peu perdus de vue.
Il a développé une forme d’Aïkido qui est vraiment très particulière, c’est sa forme. Avec des mouvements très courts, le corps un peu penché. Ce n’est pas ce que j’ai envie de faire au niveau technique mais c’est complètement logique et ça marche très bien. J’ai eu beaucoup d’intérêt et j’ai appris beaucoup de choses en le voyant faire même si ma forme est différente.
Dans la mesure où on est capable de reconnaître un enseignement sérieux il est donc intéressant de s’ouvrir pour comprendre d’autres approches, mais il faut prendre garde à ne pas se perdre en essayant de tout intégrer à chaque fois car on ne peut pas changer en permanence de forme de corps et de travail.
Durant votre séjour au Japon vous avez pratiqué le kick boxing au Meïjiro gym à Tokyo. Qu’est ce que cela vous a apporté ?
A l’époque j’étais avec un ami qui s’appelle Lilou Nadenicek et qui pratiquait l’Aïkido et le Karaté. On était jeunes et on allait voir les combats de kick-boxing qui étaient très en vogue.
Et à un moment on a créé avec tous les français qui faisaient des arts martiaux un rendez-vous hebdomadaire le dimanche matin sur la pelouse de l’institut franco japonais. On avait décidé que tous les gens qui voulaient se confronter se retrouveraient là et on mettait des gants, des plastrons et on combattait. On s’est vite aperçus que chaque discipline avait des qualités et des lacunes.
Et un jour avec Lilou on a décidé d’aller voir dans un gym. On est tombés sur le Meijiro gym mais ça aurait pu être n’importe lequel. Quand on est arrivés il y avait deux mecs qui s’entraînaient, Shima, champion du Japon et Fujiwara qui était le plus grand combattant de l’époque. Et après est arrivé Kurosaki, un des meilleurs combattants du Kyokushinkaï.
C’est assez marrant parce qu’on est allés voir Shima. Il était assis à un bureau et il nous demande ce qu’on veut. Bon il faut voir l’ambiance, il fallait rentrer, crier ouss, enlever ses chaussures, son manteau, s’approcher, attendre qu’on nous parle. Tout un rituel. Comme mon copain venait du Karaté heureusement il connaissait tout ça.
Et Shima nous dit « Vous voulez quoi ? ». On lui répond qu’on voudrait s’inscrire. « Ah bon ? Pourquoi ? ». Parce que on voudrait pratiquer un peu. « Ah bon, vous êtes américains ? ». Et pendant un quart d’heure comme ça il nous pose des questions qui n’avaient pas de sens. Et à chaque fois, pourquoi, pourquoi ?
A un moment je regarde mon copain Lilou et je lui dis « Il est bête ou quoi ? ». En fait il ne comprenait pas ce qu’on venait faire là, il ne pouvait pas imaginer ce qu’on pouvait venir faire ici. Maintenant l’époque a changé et ça ne surprendrait probablement personne. Il nous a mis devant une glace et il nous a montré le une deux et il est retourné à son bureau.
Nous après une demi-heure à faire de une deux on se dit il va nous montrer autre chose et on s’arrête. Il hurle alors « Heeee ! » et nous fait signe de continuer. Et puis on est revenus le lendemain. C’est ainsi que ça a commencé.
C’était une ambiance très éloignée de celle de l’Aïkikaï j’imagine.
C’était une ambiance très spéciale. Quand on arrivait on commençait à laver le parquet même si le gars qui venait de partir à l’instant venait de le faire, après on devait bien crier « Ouss, keïko onegaï shimasu ! ». Puis on faisait du saut à la corde, du sac et parfois il venait nous expliquer quelque chose, ou pas.
Finalement on est devenus assez amis, surtout avec Fujiwara qui est un type vraiment très très sympa. Un artiste, il n’y avait que lui qui pouvait faire ce qu’il faisait.
On a suivi des tournois, on a tourné, on a fait quelques combats. Ca m’a permis de voir que ce n’est pas avec un coup de pied ou de poing qu’on tue, ça m’a permis de relativiser, de comprendre que comme le disait Shima, le sac est le seul qui ne rend pas les coups, que même si un adversaire est plus faible on ne sait jamais. Et ça m’a donné une certaine confiance.
Ca m’a aussi beaucoup aidé lorsque je suis rentré en France. J’avais un ami qui est Jean-Pierre Lavoratto, et avec lui s’entraînait l’équipe de France de Karaté. Je suis arrivé un matin et il m’a présenté, voilà il va faire les cours d’Aïkido.
J’ai commencé a faire les footings et m’entraîner avec eux tous les matins. Je leur montrais des trucs et ils m’ont respecté en tant qu’aïkidoka. Je prenais des coups et je leur en donnais.
Est-ce que la pratique de l’Aïkido vous a aidé dans celle du kick boxing ou pas du tout ?
Au début non au contraire parce que j’avais plus tendance à être un esquiveur, par contre ce qui m’a aidé c’est le kenjutsu. En Kashima shin ryu on a un coup très direct avec un départ très rapide et je m’en suis beaucoup servi. Je me mettais un peu comme en waki gamae et j’envoyais la main à la volée comme on enverrait un sabre. J’ai séché beaucoup de monde comme ça. (rires)
Par contre grâce à l’Aïkido j’avais une meilleure vision que celle des kick-boxeurs sur certaines choses. Par exemple je lisais mieux la trajectoire des mawashi geris.
Quelle est selon vous la spécificité de l’Aïkido, qu’est ce qui le démarque des autres pratiques martiales ?
Il y a plusieurs points distincts.
D’abord il y a le côté éducatif. L’Aïkido est un système d’éducation avec un support qui est l’art martial.
Ensuite il y a le côté technique. En Aïkido il y a des principes et des qualités. Les qualités sont plus du domaine de l’inné alors que les principes sont du niveau de l’acquis. Les réflexes sont une qualité, on l’a tant mieux, on ne l’a pas, tant pis. Le shisei par contre est un principe. La vision, la distance qu’on résume par ma-aï, c’est un principe. La recherche d’efficacité maximum avec le minimum d’efforts est un principe.
Pour que l’Aïkido fonctionne il faut donc que tous ces principes soient présents. Plus ils le seront, plus la technique tendra à la perfection.
Le point important différenciant l’Aïkido de la plupart des arts martiaux est que les principes sont les éléments essentiels d’une technique et ne peuvent pas être remplacés par le travail des qualités. On ne peut pas se satisfaire d’une technique qui marche de manière relative grâce aux qualités physiques que sont la force ou la rapidité.
Il y a enfin l’aspect spirituel. Nishio disait que l’Aïkido était le yurusu Budo, le Budo du pardon. Et c’est ça, plus encore que tout le reste qui est une spécificité de l’Aïkido. La notion de respect de l’intégrité. La sienne bien sûr, mais surtout celle du partenaire.
La recherche de l’Aïkido est celle du geste pur en dépit des contraintes que sont les attaques des adversaires dans le respect d’une éthique aux aspirations élevées. Car même si la plupart des Budo préconisent de n’agir que pour se défendre, l’idée de le faire en préservant son partenaire est spécifique à l’Aïkido.
Est-ce que vous considérez que le travail des armes fait partie intégrante de la pratique de l’Aïkido ?
Fondamentalement, non. Mais je vais développer mon point de vue.
A l’Aïkikaï comme vous le savez il n’y a pas de cours d’armes, point final. Il y a quelques bokkens si on veut faire quelques suburis mais il ne faut pas en faire trop et surtout éviter de travailler à deux.
Mais moi j’ai toujours été très intéressé par l’esprit du ken, cette façon d’aller droit dans l’action spécifique du kenjutsu, non circulaire. Et j’ai eu la chance d’être formé en kenjutsu par Inaba senseï au Shiseïkan.
Mais je ne considère pas qu’il est nécessaire de faire des armes pour faire de l’Aïkido. C’est bien d’en faire aussi dans la mesure où c’est un support ludique qui apprends à gérer une autre distance. Mais on peut en dire autant de la boxe ou des disciplines pieds-poings. Ce sont des supports qui peuvent apporter quelques chose, qui sont intéressants qui mais ne sont pas l’essence de l’Aïkido.
J’enseigne toujours le ken dans les stages d’une semaine parce que ça intéresse beaucoup de monde mais c’est un plus, ce n’est pas l’essentiel. Je n’ai rien contre ceux qui développent des systèmes d’armes, mais l’Aïkido c’est l’Aïkido. Les armes ça peut en faire partie mais on peut très bien avoir quelqu’un qui n’a jamais fait de ken de sa vie et qui fait de l’Aïkido correct avec exactement les mêmes sensations.
Est-ce que vous pensez que l’Aïkido doit évoluer dans sa forme et ses techniques ?
Oui, comme toute chose, un Aïkido qui n’évolue pas c’est un Aïkido mort.
En Aïkido les techniques de base sont des katas. Et il est indispensable que tout le monde apprenne ces bases fondamentales. Ensuite il y a les applications. Et à partir de là, et bien heureusement, il y a des gens qui vont aller toujours plus loin. Qui vont créer, inventer, avoir une idée plus fine de la chose et la faire évoluer. C’est pour ça je pense que O senseï n’a jamais dit que l’Aïkido était fini.
Quand je vois ce que des gens comme Yamaguchi senseï ont amené à l’Aïkido au niveau de la liberté je trouve ça exceptionnel. Si on part comme certains du principe que « Mon professeur était le meilleur, et moi je suis le meilleur après le professeur mais vous serez toujours moins bons que moi. », où arrive-t-on au final, ça n’a pas de sens.
Il faut bien sûr être très rigoureux sur les bases et les principes mais toute chose évolue, c’est un processus naturel et il n’y a pas de raisons que l’Aïkido ne le suive pas.
Est-ce que vous pensez qu’il y a des fondements qui sont inaltérables ?
Ce qui est inaltérable et primordial c’est la recherche des principes, de la pureté dans le geste et dans le cœur.
La technique, à la limite, n’est pas inaltérable. Ce qu’il faut comprendre c’est la finalité d’une technique ou d’un type de travail. A partir de là on peut tout à fait imaginer qu’on trouve un jour d’autres techniques, d’autres formes de travail permettant de développer aussi bien ou même mieux l’effet, la qualité ou le principe recherché.
Est-ce que vous pensez que la pratique de l’Aïkido doit évoluer avec l’âge ?
Moi l’Aïkido c’est ma vie. J’ai de plus en plus de plaisir à le faire, de plus en plus d’enthousiasme. Mais effectivement je sens bien que je n’ai plus les mêmes qualités qu’à vingt ans et c’est naturel.
Mais je crois que si on s’est orienté vers une pratique juste fondée sur le travail de la technique et des principes fondamentaux, on croît en efficacité avec le temps. L’erreur c’est de ne pas vouloir vieillir et de vouloir rester sur une pratique fondée sur des qualités physiques qui vont inévitablement en s’amenuisant.
Il y a des jours où je suis en forme, je vais prendre deux aspirines, travailler comme un jeune, bouger énormément, chuter, travailler avec le physique, mais le lendemain je le paye. (rires)
Par contre avec une technique précise on ne perds pas de rapidité. On affine, on apprends avec l’expérience à partir au bon moment avec le minimum d’efforts. C’est cela qui permet de devenir encore plus efficace en prenant de l’âge.
Vous voyagez énormément, est-ce que vous voyez des différences culturelles dans la manière d’aborder l’Aïkido ?
Un problème récurrent est celui du salut à genoux. Comme vous le savez dans la religion musulmane on ne se prosterne que devant Allah. Et le salut japonais est très proche de cela. Pour cette raison de nombreux pratiquants d’Aïkido musulmans ne le font pas.
Moi quand je vais en Algérie par exemple, souvent je suis le seul à faire le salut. C’est difficile comme situation parce qu’ils sont adorables mais il est difficile de faire comprendre qu’il s’agit simplement de prendre conscience qu’avant nous il y a eu une longue transmission qui a eu lieu.
Moi j’ai des élèves musulmans qui ne font pas le salut. Ça ne me dérange pas outre mesure mais je crois que c’est dû à un malentendu sur la signification du geste.
Parfois je me demande comment ils feraient si ils allaient au Japon. Ils pourraient tomber sur un senseï dans un petit dojo qui comprendrait la situation mais au Kyokushinkaï par exemple ils prendraient la porte après avoir pris une raclée.
A l’inverse on voit des pratiquants occidentaux qui n’ont jamais été au Japon qui font le salut shinto qu’on ne fait même pas à l’Aïkikaï.
Pour moi le salut a deux fonctions. C’est d’abord comme je l’ai dit précédemment de remercier toutes les personnes qui ont été les maillons de la transmission jusqu’à nous. Ensuite cela sert à ordonner son corps et son esprit. C’est une préparation à la pratique.
A l’Aïkikaï je rentrais et sortais fréquemment du Dojo pour une raison ou une autre. Des fois il m’arrivait de rentrer pour aller chercher un bokken par exemple et d’expédier le salut un peu rapidement. Eh bien je me disais « Repose le bokken, tu te retournes et tu le refais correctement. ». Ça sert aussi à ne pas se laisser aller.
Que représente le ki pour vous ?
La vie, le souffle de vie qui est en tout. Le problème du ki c’est son écoulement. Si le ki ne s’écoule pas naturellement on est malade, bioki.
Pratiquez-vous des exercices comme le chi-kung ?
J’ai énormément de respect pour le chi-kung, le Taï chi. Mais je pense que leur propos est dans l’écoulement du ki et je pense que l’Aïkido le permet aussi sous une autre forme mais qui est suffisante.
En quelques mots comment définiriez-vous les maîtres suivants :
Moriheï Ueshiba
Je dirai un personnage décalé dans son temps mais dont le message est celui de l’avenir.
Kisshomaru Ueshiba
C’est le respect, la rigueur, celui grâce à qui l’Aïkido dans le monde est ce qu’il est aujourd’hui. Celui qui a accepté la deuxième place, qui a été contesté, qui a assumé la succession. Pour moi c’est vraiment l’image de la responsabilité.
Et les autres n’ont pas été très sympas. Tous les autres, très franchement. Les gens qui sont aujourd’hui les maîtres de l’Aïkido ne sont pas uniquement les élèves d’O senseï. Ce sont avant tout les élèves de Kisshomaru. Ce n’est pas O senseï qui a soixante-dix ans leur a appris à chuter, leur a enseigné ikkyo, nikkyo… Ça les valorise d’avoir connu O senseï, certainement, mais celui qui a vraiment été là, qui leur a enseigné, c’est Kisshomaru.
C’est aussi Kisshomaru qui a donné une bonne image de l’Aïkido à tous points de vue, qui l’a développé. Et il a beaucoup payé de sa personne. Je peux en parler parce qu’en 1980 lorsqu’il y a eu le premier congrès mondial de la FIA à Paris, il y avait le fils Osawa, Moriteru et moi. Nous étions ses trois uke. On était avec lui dans le vestiaire et quand je l’ai vu se changer, il ne faisait pas quarante kilos après son opération. Et quand il est monté sur le tapis c’était d’une dignité, c’était admirable. Il avait un message à transmettre et il est venu. Personne d’autre ne l’aurait fait. Un grand respect pour un maître qui a été trop longtemps mésestimé.
Moriteru Ueshiba
J’ai beaucoup d’espoir en lui parce que c’est un bon aïkidoka, il est moderne et il est intelligent. C’est très dur pour lui aussi mais il a bien su s’affranchir, il prend de plus en plus d’assurance. Il respecte les anciens mais prend ses décisions seul. On l’a souvent mésestimé comme son père mais j’ai beaucoup travaillé avec lui et je sais qu’il tient la route.
Koichi Toheï
Ah c’est spécial Koichi Toheï. J’aimerais faire quelques cours avec lui maintenant. A l’époque je n’aimais pas ce qu’il faisait parce que j’avais l’impression qu’il se moquait de nous. J’allais à ses cours tant qu’il était à l’Aïkikaï mais le côté « Tendez le bras, vous voyez, je vous le plie. Pensez à votre ki, vous voyez, je ne vous le plie plus. » ça ne me convenait pas parce que je savais que ça n’était pas vrai. Mais quelqu’un de très fort, on ne peut pas en douter.
Seïgo Yamaguchi
Le génie des génies, l’homme universel, une intelligence rare que tout le monde reconnaît.
Nobuyoshi Tamura
Beaucoup de respect pour tout le travail qu’il a fait en Europe. Et énormément de respect pour sa technique. Par contre j’ai souvent le sentiment qu’il est mal entouré.
Masamichi Noro
Un homme exceptionnel. Je n’ai jamais été élève de maître Noro parce que j’étais chez Nakazono senseï et il y avait une rivalité entre eux. Mais aujourd’hui nous sommes amis, vraiment très amis. Il a même dit au Doshu « Il faut donner le 8ème dan à Christian ! ». (rires)
Et un parcours exceptionnel. Quand on sait l’accident qu’il a eu, d’où il revient et ce qu’il a fait, c’est formidable. Il a créé son système mais je crois qu’au fond son truc c’est l’Aïkido. Et c’est quelqu’un qui ne pense qu’à une seule chose, et il me le dit constamment, c’est la maison Ueshiba. C’est le giri. Vraiment quelqu’un d’exceptionnel.
Morihiro Saïto
J’ai suivi ses cours quand il enseignait à l’Aïkikaï le dimanche mais je le connais très peu. Un grand respect pour lui, grand technicien cela va sans dire. J’aimerais simplement parfois que certains de ses élèves soient un peu moins intégristes.
C’est vrai que Saïto senseï pensait qu’il avait raison, mais de toutes façons tous les senseïs que j’ai connus pensaient tous qu’ils avaient raison ! (rires)
En avril j’ai un stage d’Aïkido aux Etats-Unis invité par Patricia Hendricks. Elle est très ouverte, à un Aïkido très dynamique qu’elle a développé à partir des bases inculquées par Saïto senseï. Malheureusement je trouve souvent le travail des élèves de Saïto senseï très rigoureux mais beaucoup trop statique.
Mitsurugi Saotome
C’est un très bon ami, on a passé beaucoup de temps ensemble. Il m’a donné énormément de cours particuliers, surtout sur le jo. Tout le jo que j’ai appris vient de lui.
Pour moi c’est l’un des plus beaux Aïkido qui existent au niveau de la forme. Mais à un moment j’ai rompu un peu avec lui parce qu’il ne faisait plus de l’Aïkido, il se perdait dans sa recherche. Il faisait faire kote gaeshi sur chudan tsuki avec le pied, des choses comme ça. Mais il s’est retrouvé et quand il fait de l’Aïkido, c’est le meilleur.
Kazuo Chiba
Un personnage très attachant, une qualité technique exceptionnelle. Mais un côté caractériel et une pratique qui parfois donne l’impression d’une violence inutile.
Votre meilleur souvenir en Aïkido ?
Mon meilleur souvenir est aussi le pire, c’est lorsque j’ai reçu le 7ème dan des mains du Doshu.
C’est un très beau souvenir, un moment très émouvant. Il m’avait invité chez lui et nous étions quatre, lui, son fils Moriteru, mon fils et moi-même. Il était intubé par le nez, on a passé une petite heure ensemble et je savais que c’était la dernière fois que je le voyais.
C’est un beau souvenir parce que ça venait de lui, un mauvais souvenir parce que je savais que je ne le reverrai plus.
Le 7ème dan en lui-même était sans importance. Je savais depuis longtemps que je serai 7ème dan un jour. Ce qui m’a fait plaisir c’est la reconnaissance, de savoir que oui, effectivement pour un occidental c’était possible de devenir un véritable 7ème dan. Quand je dis véritable c’est-à-dire Aïkikaï, pas un 7ème dan d’un groupe qui s’auto décerne des diplômes.
Votre souvenir le plus drôle en Aïkido.
Oh j’en ai plusieurs. Un jour j’étais en démonstration avec le Doshu et ça faisait 20mn que j’attendais à genoux. Et au moment où il tend la main vers moi pour m’appeler je me lève, plus de genoux. Je m’écroule devant lui et impossible de me relever. Je n’avais plus de sang dans les jambes.
Une autre fois dans une démonstration il y avait un vieux monsieur japonais qui avait un peu trop bu avant. Et il n’avait pas vu qu’il avait mis les deux pieds dans la même jambe du hakama ! Et toute la démonstration s’est passée comme ça, c’était pas mal.
Vous sortez un nouveau DVD, pouvez-vous nous en parler un peu ?
Je viens de terminer un nouveau DVD qui est actuellement sous presse et qui va s’appeler « Applications ». C’est quelque chose de nouveau par rapport aux supports d’enseignements classiques. Il y a en fait deux axes. Dans la première partie je pars de techniques épurées exécutées de manière fluide que je décline. L’idée est de montrer des choses nouvelles et d’autres sous un angle neuf.
Dans la seconde partie j’explique comment travailler sur des attaques telles que mae geri (coup de pied de face), mawashi geri (coup de pied circulaire), etc… Je ne reviens pas sur les techniques basiques qui consistent à prendre la jambe puis à projeter, mais je propose un travail basé sur les pivots, les esquives. L’idée était de montrer à un aïkidoka comment puiser dans son art les réponses à des frappes fréquentes dans le monde des arts martiaux actuels et souvent délaissées dans notre pratique.
Une solution par exemple sur un mae geri est de balayer la jambe d’attaque et d’initier une frappe au visage du partenaire qui par sa réaction nous permet d’appliquer kote gaeshi.
Ce n’est pas un travail que tout le monde va faire, mais je pense que cela répondra à beaucoup d’interrogations dans le monde de l’Aïkido où de nombreux pratiquants se sentent démunis face à ce type de situations. Après il est difficile de faire travailler ce genre de chose régulièrement au dojo où le manque de temps oblige souvent à se consacrer aux fondamentaux. Parce que travailler ce genre de techniques nécessite aussi l’apprentissage de ces attaques et il y a une partie des pratiquants que cela n’intéresse pas forcément. Mais avec ce DVD les aïkidokas disposeront des outils nécessaires à la compréhension de ce travail.
Interview de Christian Tissier 7e Dan : L’aïkido en système d’éducation
Extraits d’une interview où Christian Tissier livre des réflexions plus théoriques sur sa pratique et l’évolution de l’Aïkido, menée par Ivan Bel et Christophe Erard et publiée en 2008 sur le blog de ce dernier Vie au Japon et pratique de l’Aïkido
Guillaume Erard : (…) La recherche de l’esthétisme est-elle une composante importante de votre Aïkido ?
Christian Tissier : Quand je fais une technique, je ne recherche pas l’esthétisme. Le propos de l’aïkido, c’est une recherche d’idéal de pureté par le geste en dépit d’une contrainte physique représentée par un partenaire-adversaire. Donc, dès l’instant où cette contrainte va être résolue, avec une recherche à la fois de précision, de placement, d’économie, le mouvement sera forcément de plus en plus pur. Et plus il est pur, plus il est naturel, donc esthétique. Mais il n’y a pas une recherche de l’esthétisme en particulier. L’Aïkido c’est un art, martial certes, mais c’est un art. Dès le moment où l’on utilise le corps avec cette optique, inévitablement on doit travailler la pureté du geste. L’esthétisme est la résultante de ce travail.
Ivan Bel : Quand on vous voit pratiquer, on perçoit une grande décontraction dans le mouvement (…)
Christian Tissier : (…) Pour répondre au sujet de la décontraction, l’un des autres aspects du Budo est la suppression des craintes. Vouloir devenir plus fort que tout le monde n’a pas de sens. Il faut simplement travailler à supprimer ses propres craintes. C’est pourquoi tout le système d’éducation que l’on met en place vise à supprimer les sentiments de refus, d’exclusion, de non-communication. Plus on va gommer les craintes, plus on va aller vers les autres, mais cela ne signifie nullement que l’on va devenir invincible. A mon avis, plus une technique est maîtrisée, épurée, plus elle permet de travailler sur soi, de comprendre et de résoudre ses craintes et plus elle permet une communication aisée par le geste. La décontraction nait alors spontanément de tout cela.
Guillaume Erard: Au sujet de la communication, vous mettez un accent particulier sur la relation entre Uke et Tori, où chacun doit faire son maximum pour faire progresser l’autre. Mais bien souvent cet aspect est perçu comme de la connivence.
Christian Tissier : C’est très mal interpréter cette relation que de voir les choses comme cela. Il ne peut pas y avoir de système d’enseignement sans code. Si on décide de faire un match de tennis, je vais venir avec une raquette. Mais si vous venez en face avec une batte de base-ball on va avoir du mal à jouer ensemble et à se renvoyer la balle ! Donc dans un système, quel qu’il soit, on va définir des codes : on a un Kimono blanc c’est un code ; on est sur tapis c’est aussi un code ; et puis le choix de faire katatedori en départ arrêté c’est encore un code, ce n’est pas une action. La preuve c’est qu’on ne tire pas, on ne pousse pas et on ne frappe pas. On laisse à l’autre la possibilité de travailler. On établit donc des codes et, par rapport à ces codes, on va pouvoir s’organiser et mettre en place la technique.
(…) Mais la finalité, et c’est ce qui moi m’intéresse, c’est de pouvoir pratiquer avec des gens qui n’ont pas les mêmes codes que moi, voire des gens qui n’ont pas de code du tout, et que ça fonctionne quand même ! C’est pourquoi j’aime bien prendre des gens que je ne connais pas, des gens qui sont débutants, des grands, des gros, des karatéka, des judoka. J’aime bien travailler avec tout le monde parce que je peux montrer que la technique peut fonctionner sans code : il s’agit là de l’application de la technique. Mais avant d’en arriver là, l’apprentissage de la technique ne peut fonctionner, au départ, que sur des codes (…).
Guillaume Erard : Vous dites souvent que l’Aïkido est un système d’éducation avec un support martial. Selon vous, qu’est-ce que les gens développent dans ce système ?
Christian Tissier : Alors là, c’est très variable selon les individus. Mais si on parle de l’Aïkido en tant que système d’éducation, il faut se rappeler que le cadre est martial. C’est un cadre librement choisi. On pourrait choisir la peinture, la sculpture, le zen ou bien d’autres choses. Ce qui pousse les gens vers un art martial est parfois un goût pour la bagarre ou la confrontation, je n’en sais rien. Mais nous, on a choisi un art martial. Dans un art martial, il y a forcément les notions de contrainte et de sanction. Et c’est tout notre système d’éducation, dont le but est de progresser en tant qu’être humain, qui va reposer sur cette notion de martialité. C’est ce qui fait que chaque erreur doit être sanctionnée, soit par le professeur, soit par l’impossibilité de faire aboutir la technique. Mais cette sanction, comme ce n’est pas pour de vrai mais que l’on est sur le tapis, est une nouvelle chance pour recommencer. Il faut profiter de cette nouvelle chance, non pas pour recommencer la même erreur, mais pour relancer un mouvement dans laquelle l’erreur est gommée.
Quand on y pense les gens disent souvent : « progresser c’est faire mieux ». Je ne suis pas d’accord. Pour moi progresser c’est faire de moins en moins d’erreurs, de parfaire ses mouvements et de ne plus présenter d’ouverture. Or, le propre du Budo c’est l’absence d’ouverture, waki ga nai, c’est-à-dire ne jamais prêter le flanc soit par une action, soit par des paroles, soit par un désordre quelconque (…).
Guillaume Erard : Tout le monde connaît la relation très forte que vous avez eue avec Yamaguchi Senseï. Diriez-vous, en termes de pratique, que vous avez développé un autre style que le sien ou bien êtes-vous son fidèle reflet ?
Christian Tissier : J’ai deux maîtres principaux qui ont eu une grande influence sur ma pratique. Ce sont le second Doshu Ueshiba Kisshomaru surtout en ce qui concerne les techniques de base, et Yamaguchi Senseï pour la technique en général, mais pour beaucoup plus que cela ; pour la liberté, pour le sens de l’application des techniques, pour la rigueur. C’était une relation filiale que j’avais avec lui, à tel point qu’à la fin de sa vie il se cherchait une maison sur la Côte d’Azur pour habiter près de chez moi. Alors, pour répondre à la question, je ne sais pas si je fais du Yamaguchi ou pas, car ce n’est pas mon propos en tant qu’enseignant. De plus, il ne voulait pas que l’on soit esclave de sa technique et cela ne lui aurait sans doute pas fait plaisir que je sois son clone. J’ai surtout intégré les principes qu’il m’a transmis.
Guillaume Erard : On entend parfois parler d’Aikido d’avant-guerre et d’Aikido d’après-guerre, en opposant ancien et moderne. Vous qui avez été acteur et moteur de l’Aikido en France, qu’est-ce qui a changé selon vous ?
Christian Tissier : C’est amusant cette question parce que lorsque je suis rentré du Japon, les gens ont dit que ce que je faisais était différent. Le problème c’est que je revenais de sept ans à l’Aikikai. J’avais donc plus conscience que c’était ceux qui étaient restés qui faisaient quelque chose de différent. Moi je ne répétais que ce que j’avais appris au Hombu Dojo. Je n’ai pas inventé les techniques. De plus, j’ai été reconnu par mes pairs dès mes 24 ans, j’ai été considéré comme un élève particulier du second Doshu, j’étais très proche de Yamaguchi Senseï, donc je pense honnêtement que je n’ai pas été acteur d’un changement dans la pratique de l’Aikido (…).
Cependant, c’est vrai qu’il y a une évolution, mais alors c’est celle des enseignants qui au cours d’une vie évoluent. (…) Ce que je veux dire c’est que, quand on a 20 ans il faut avoir 20 ans sur le tatami, et puis après on change de pratique, de statut et d’âge bien sûr…
Enfin, c’est vrai que l’Aïkido a évolué comme n’importe quelle activité, si on compare les Uke des débuts de l’Aïkido avec les gens d’aujourd’hui qui ont une image très différente de leur art et des techniques. Cela s’explique parce que les premiers Uke étaient des judoka. Aujourd’hui les pratiquants bougent plus spontanément, plus rapidement et donc forcément la technique n’est pas la même qu’aux débuts (…).
Et puis on ne peut pas dire que l’Aïkido est figé. Il évolue constamment et bien heureusement, sinon dans 50 ans il n’y a plus d’Aïkido ! Ce qui est immuable, ce sont les principes (…).
Ivan Bel : (…) Vous qui avez été le premier Shihan non Japonais, cela vous rappelle-t-il des souvenirs ?
Christian Tissier : (…) Lorsque j’étais 6e Dan, ce titre n’était pas formalisé. Je recevais un mot de l’Aïkikaï, ou une lettre d’Endo Sensei, et il arrivait qu’on m’appelle « Tissier Shihan », mais ce n’était pas clair parce que le titre n’était pas décerné. Au bout d’un moment il y a eu une petite polémique dans Aïkido Today où Saotome Mitsugi et d’autres Shihan donnaient leurs positions à ce sujet et faisaient part de leur avis. À partir de là, l’Aïkikaï a décidé de clarifier les choses en décernant le titre officiellement (…).
Ivan Bel : Avec la montée qualitative des pratiquants d’Aïkido et des enseignants, n’y a-t-il pas un moment où l’on pourra se dire « pourquoi ne pas se passer du Japon finalement ? ».
Christian Tissier : Oui on peut se passer du Japon, comme le Japon pourrait se passer de l’Occident. Mais cela me semble très important de ne pas sous-estimer l’interaction qui existe entre les deux.
Sur le plan technique uniquement, on est adulte et compétent, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, pour transmettre l’Aïkido. Mais je trouve qu’il est toujours intéressant de retourner aux sources, parce qu’il y a une dimension de l’enseignement qui est différente (…).
Ce qui va manquer à un Japonais c’est l’analyse de l’Aïkido. Heureusement ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais en général, la pédagogie ce n’est pas leur fort ! Pourquoi une technique est comme ceci ou cela ? « Ben, parce que c’est comme ça », voilà la réponse typique que l’on reçoit au Japon. Aussi un Senseï de là-bas, tout 8e Dan qu’il soit, serait probablement recalé en pédagogie au Brevet d’État chez nous… J’ai souvent discuté avec Endo Senseï qui est pourtant mon Sempaï, à ce sujet. Il me demandait de temps en temps si sur telle ou telle technique, existait une version Ura. Notre logique cartésienne et notre analyse nous ont permis de décortiquer très tôt toutes les techniques et de les cataloguer. On leur apporte beaucoup dans ce sens-là. A contrario, ils n’ont pas la même culture que nous, et par conséquent pas la même façon d’aborder les problèmes. Les Japonais vont mettre le doute dans mes certitudes, sur des notions très fines, et cela me bouscule et me permet d’avancer. Car le doute oblige à se remettre en cause. Donc pour résumer, oui dans l’absolu on peut se passer du Japon, mais on y perdrait beaucoup.
Pourquoi travailler les armes en Aïkido ?
C’est un point très important, souvent mal compris, qui demande plusieurs éléments de réponse.
Aïki-Jo et Aïki-Ken, les armes de l’Aïkido
En effet, l’Aïkido est un art martial à main nue, il n’y a d’ailleurs pas de cours d’armes au Dojo central de l’Aïkikaï à Tokyo.
L’essentiel des « armes de l’Aïkido » nous vient de l’époque où le fondateur de l’Aïkido, O Senseï Moriheri Ueshiba, vivait dans le village d’Iwama, soit de la seconde guerre mondiale à sa mort en 1969. C’est à Iwama qu’a été édifié le temple Shinto de l’Aïkido où se tient chaque année le festival en sa mémoire (voici le reportage de l’évènement en 2013 sur le site de Guillaume Erard ). Durant toutes ces années l’assistant de Maître Ueshiba a été Maître Morihiro Saïto, c’est essentiellement Saïto Senseï qui a mémorisé et nous a transmis les techniques d’armes qu’il a apprises de lui durant cette période. Ce sont ces techniques que l’on appelle Aïki-Jo (le travail de bâton pour l’Aïkido) :
et Aïki-Ken (le travail de sabre de l’Aïkido) :
Il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une école d’escrime particulière mais de formes pédagogiques faites pour faciliter l’enseignement et la compréhension des techniques à main nue de l’Aïkido.
En effet, comme les techniques d’Aïkido viennent du maniement des armes, ces formes permettent de bien comprendre comment se construisent les techniques qui utilisent la main pour « couper » et les déplacements pour « ouvrir » et « fermer » des angles en fonction du centre de chaque partenaire et de ses possibilités de déplacement… Bref, cela permet de comprendre que, techniquement, il faut étudier l’Aïkido comme une escrime sans arme, comme les différents styles de Karaté ou de Boxe, plutôt qu’une discipline qui s’apparente aux luttes et au Judo, même si les techniques se concluent par des projections et des immobilisations.
Dans le style d’Aïkido rattaché à l’Aïkikaï que nous pratiquons, chaque enseignant peut choisir de faire pratiquer l’Aïki-Ken et l’Aïki-Jo à ses élèves en fonction de sa vision de l’Aïkido et de son projet pédagogique propre. De même il peut choisir de ne pas le faire mais il est très difficile d’enseigner de manière compréhensible si on ne connaît pas suffisamment ce travail pour pouvoir le montrer en soutien des explications sur les techniques à main nue.
Au sein de Neko Aïkiclub nous enseignons une partie de ces exercices en y consacrant plus ou moins de temps selon les moments de l’année. L’étude du bâton fait en particulier l’objet d’une attention importante. Les références de notre travail se trouvent dans les ouvrages de Christian Tissier Shihan Aïkido Fondamental – Tome 3: Aïki-jo: Techniques de Bâton (manuel, éditions Sedirep, réédition en 2011) et Aikiken – Bokken Kenjutsu mes choix pour l’étude du Ken (vidéo VHS, qui n’est plus distribuée).
Dans ce contexte, plus que des armes, le sabre et le bâton sont donc des accessoires pédagogiques pour l’amélioration des attitudes (jambes fléchies), des postures (les mains liées au centre), des déplacements (sans déséquilibre), etc.
Les techniques d’Aïkido contre les armes
L’Aïkido est un art martial à main nu qui s’intéresse aux confrontations asymétriques, c’est-à-dire celles où l’attaquant est plus fort que l’attaqué, ce dernier maîtrisant ces attaques grâce aux techniques d’Aïkido. On étudie en particulier les situations, très asymétriques, où l’attaquant est armé et l’attaqué à main nue.
Il existe donc dans la nomenclature de l’Aïkido des techniques spécifiques contre les attaques au couteau, telle Gokkyo (la 5e immobilisation) ou les formes de Shihonage et Kotegaeshi sur des coups de couteau portés vers le cou ou vers le ventre, etc.
Bien entendu, à partir de ces techniques précisément répertoriées peut se construire un grand nombre d’applications adaptées à des attaques avec des couteaux, des sabres, des bâtons…
Ces applications nous viennent essentiellement d’avant la seconde guerre mondiale, quand O Senseï enseignait des techniques issues de son expérience pratique et destinées à servir « pour de bon » en combat à mort.
En effet Maître Ueshiba, outre sa formation dans les arts martiaux traditionnels, avait aussi une solide expérience militaire : en 1903 à l’âge de 20 ans il a fait la guerre en Chine et il a dû combattre à nouveau lors de son expédition en Mongolie en 1924. En tant que soldat il était en particulier expert dans l’escrime à la baïonnette (Jukenjustu). En 1930, il est devenu instructeur à l’Académie militaire de Toyama, en 1931 il a inauguré le dojo Kobukan qui restera ouvert jusqu’à la guerre et qui était connu sous le nom de « Dojo de l’enfer » en référence à la rigueur de ses entraînements (cf. la biographie écrite par Maître Kisshomaru Ueshiba dans l’introduction de 1991 à la réédition de « Budo », le manuel publié par son père en 1938).

On voit sur cette photo ancienne que le dojo était équipé avec des fusils et des baïonnettes d’entrainement et que O Senseï s’exerçait en tenue «de ville» pour une pratique orientée vers le combat réel plutôt que vers l’éducation physique et le développement personnel.
Même si c’est dans ce dojo qu’a progressivement été raffiné l’Aïkido dont nous avons hérité pour devenir la discipline éducative que nous connaissons, les techniques appliquées aux armes transmises depuis cette époque n’ont guère évolué. Elles sont donc assez « rudes », avec des atemis, portés avec le poing ou la main ouverte pour inhiber l’attaque, et des conclusions avec des étranglements et des clefs de bras permettant de réaliser facilement une luxation ou de désarmer l’adversaire afin de lui ôter toute possibilité de recommencer.
L’étude intensive de ces techniques est particulièrement intéressante pour ceux qui recherchent une pratique de l’Aïkido orientée vers la self-défense et, même pour ceux qui ne sont pas intéressés par cet aspect « utilitaire », elles doivent faire partie du programme d’entraînement à un moment ou l’autre de l’année car, sans elles, l’étude de l’Aïkido serait incomplète et perdrait un « réalisme » qui est indispensable à la progression.
L’Aïkido et le sabre des koryu
L’Aïkido est un « budo », l’un des arts martiaux modernes mis en forme au Japon depuis la fin du XIXe siècle. Les écoles martiales qui étaient pratiquées auparavant sont appelées « koryu », les écoles anciennes, l’escrime au sabre, Kenjutsu, y occupe une place prépondérante alors que le travail à main nue, Taïjutsu, s’y faisait de manière liée et subordonnée à l’étude des armes.
Plusieurs de ces écoles se sont perpétuées jusqu’à nos jours et, à cause de ce lien historique, beaucoup de pratiquants d’Aïkido s’intéressent à cette pratique.
En France les aïkidokas ont le plus souvent rencontré l’une ou l’autre de ces deux écoles :
-
- Muso Shinden Ryu, qui est une école de Iaïdo (l’art de dégainer le sabre) qui compte des pratiquants dans différentes structures en France, dont un enseignement organisé au sein de la Fédération européenne de Iaïdo par Malcom Tiki Shewan (6e dan Aïkikaï, professeur d’Aïkido formé par Maître Nobuyoshi Tamura et spécialiste reconnu du sabre japonais).
- Kashima Shin Ryu, qui est l’école de Ken Jutsu que Christian Tissier Shihan et Lilou Nadenicek (les professeurs des enseignants de Neko Aïkiclub) ont étudié au Japon auprès de Maître Minoru Inaba :
Au sein de Neko Aïkiclub, nous voyons les 5 katas de la première série de Kashima Shin Ryu (Kihon Dachi « les bases du sabre ») que Maître Tissier fait étudier régulièrement en stage.
Comme on le voit sur la vidéo de Maître Inaba, ce travail de Ken Jutsu est très dynamique, il oblige à renforcer sa concentration (zanshin), l’instantanéité de ses démarrages de techniques, sa détermination, sa conscience du danger, sa gestion des distances dynamiques (ma aï), etc. Il s’agit là d’un ensemble de qualités qui sont au cœur de la pratique des arts martiaux telle que nous l’envisageons et voulons la faire partager, mais qui sont difficiles à expliquer avec des mots tant que l’on n’a pas fait l’expérience personnelle des sensations physiques et émotionnelles qui les sous-tendent.
Nous espérons donc que l’étude du sabre sera un raccourci vers l’expérience de ces sensations et l’acquisition de ces qualités.