Hara, Seïka tanden, Ki, Kokyu… comprendre des concepts exotiques

L’œuvre de science-fiction « La guerre des étoiles » s’inspire clairement de la représentation par les occidentaux des arts martiaux d’Extrême-Orient (Budo en japonais). Les budokas (les pratiquants d’arts martiaux expérimentés) y sont les chevaliers Jedi et maître Yoda représente l’archétype du Senseï, archaïque et exotique, vieux et bougon mais généreux et invincible, et surtout parlant par paraboles incompréhensibles. Quant au Ki (ou Qi, ou Chi, que l’on trouve aussi bien dans l’Aïkido japonais que dans les Qi Gong ou Ch’i Gong ou Tai Chi chinois), il devient « La Force », énergie cosmique mystérieuse et toute puissante, qui se laisse néanmoins domestiquer à force d’exercices bizarres…

Nous avons envie de croire aux légendes et histoires mystérieuses que l’on colporte sur les prouesses surnaturelles des maîtres d’arts martiaux chinois ou japonais ;  partir de là, il est facile aux charlatans et aux naïfs de se lancer dans des discours farfelus, des démonstrations spectaculaires, des messages mystico-philosophiques sur fond d’ésotérisme de bazar.

Pourtant il n’y a rien de surnaturel ni de mystérieux dans les arts martiaux, pas plus l’Aïkido qu’un autre. Nous pouvons donc utiliser notre esprit critique pour transposer dans notre contexte les concepts couramment utilisés dans les arts martiaux.

Ce qu’il ne faut pas oublier c’est que là où les méthodes occidentales d’entrainement sportif sont analytiques et privilégient l’apprentissage fractionné, la pédagogie des arts martiaux fait appel à une méthode globale d’utilisation du corps et de l’esprit, de coordination physique et mentale, d’éveil des perceptions sensorielles et proprioceptives, d’amélioration de la concentration, de l’attention et de la volonté.

Les mots que nous utilisons en Français ne rendent donc jamais parfaitement le sens que nous voulons traduire.

Par exemple, dans les arts martiaux la notion de « Ki » que nous traduisons par « énergie », englobera à la fois des qualités physiques comme la force, la coordination des mouvements, le sens de l’équilibre et des facultés psycho-cognitives ou morales telles la présence d’esprit, la détermination, la combativité. Elle inclura aussi le fait que le pratiquant affine sa sensibilité pour percevoir le Ki de ce qui l’entoure (celui de son partenaire, de son professeur et des autres pratiquants qui évoluent autour d’eux), de façon à  « faire le geste juste au moment juste ».

Projection Kokyu nage par Moriteru Ueshiba aïkidoshu

Projection Kokyu nage par Moriteru Ueshiba aïkidoshu

Le Kokyu, que l’on traduit souvent par « respiration », c’est la réalisation de mouvements en mettant en œuvre le Ki. « Kokyu » est donc un « mot-valise » dont le sens résiste à la traduction dans le vocabulaire analytique parce qu’il exprime la qualité globale d’un mouvement, sa puissance, sa pertinence, son rythme, sa continuité. Ainsi de nombreuses projections qui n’ont pas un nom précis dans la nomenclature technique s’appellent Kokyu Nage (projection par le Kokyu) et l’étude des directions dans lesquelles on peut diriger sa force en gardant son centre stable, s’appelle Kokyu Ho (directions du Kokyu).

Le Hara et le centre vital

Le ventre (Hara en japonais) et particulièrement un point situé au « centre du corps » à mi-chemin du nombril et du pubis (Seïka tanden en japonais, Dantian en chinois) sont investis d’une fonction particulière.

1°) Ce centre, c’est d’abord le centre de gravité. Les techniques d’Aïkido permettent de déséquilibrer, faire chuter ou projeter son adversaire en déplaçant son centre de gravité au-delà de ses points d’appui au sol (le polygone de sustentation). Au fur et à mesure que les sensations, le « contact », le « coup d’œil », s’affinent par l’exercice et la répétition des techniques, on voit instantanément et on sent dès le moindre contact (même au travers du contact de 2 sabres ou de 2 bâtons) où est le centre de l’adversaire, où il peut se déplacer, sous quel angle il peut conserver son équilibre et sous quel angle on peut le lui faire perdre. Réciproquement, nous nous exerçons à sentir où est notre propre centre, à l’ « abaisser » en relaxant nos épaules et en respirant calmement, en gardant sa stabilité quand nous nous déplaçons sur des jambes à la fois fortes et souples. Ainsi, non seulement nous améliorons notre sens de l’équilibre mais nous développons la faculté de déplacer notre centre de gravité pour esquiver les attaques de l’adversaire, le bousculer, le déséquilibrer ou lui porter un coup avec tout notre poids.

2°) Le ventre, c’est ce qui entoure ce centre de gravité, c’est aussi les hanches, le bassin et les muscles abdominaux. C’est l’ensemble des muscles et des articulations qui transmettent et amplifient  la force des jambes et des appuis du sol vers le haut du corps, où les bras et les mains exécutent des techniques. Pour les arts martiaux il s’agit de frapper, saisir, pousser, etc., mais n’importe quel autre sport ou pratique corporelle procède du même principe dès lors qu’il faut exécuter des mouvements tout en se déplaçant et en utilisant de la force. Au plus ces déplacements doivent être rapides, amples et variés, au plus les hanches doivent être « libres », c’est-à-dire souples et mobiles, de façon à pouvoir non seulement avancer ou reculer mais aussi bondir, se baisser, tourner, pivoter, changer d’angle ou de pieds d’appui. Au plus ces mouvements doivent être puissants, au plus les hanches et le ventre doivent être « forts », c’est-à-dire transmettre l’énergie depuis le sol sur lequel on s’appuie, en l’amplifiant par le déplacement du centre de gravité jusqu’au bout des mains qui frappent, saisissent, poussent l’adversaire ou manient le sabre ou le bâton.

Transmettre et amplifier l’énergie, le moteur de l’action

On traduit généralement Aïkido par la voie (do) de l’harmonie (aï) des énergies (ki). Le principe de base caractéristique de la construction des techniques en Aïkido est que l’on n’est jamais attaquant mais que c’est toujours l’attaque de l’adversaire qui est le moteur de l’action. D’autres principes sont importants, mais celui-ci distingue l’Aïkido des autres Arts Martiaux.

Les techniques consistent à ajouter notre énergie à celle de ce moteur, en esquivant l’attaque (les attaques successives) pour prendre le contrôle du centre de l’adversaire, afin de le guider par des mouvements circulaires dans un déséquilibre (une suite de déséquilibres) permettant de le neutraliser en l’immobilisant ou le projetant.

Kenji Tokitsu, maître de Karaté et théoricien contemporain des arts martiaux, décrit ce principe ainsi : « En Aïkido (où) vous pouvez voir une personne en projeter cinq ou six autres à plusieurs mètres de façon très harmonieuse. (…) Un phénomène où on projette une dizaine de personnes à la fois est comparable à une situation où dix personnes auraient chacune un poste de radio réglé sur la même fréquence. Le volume du son va être multiplié par dix. C’est une sorte de résonateur, un espace de concordance et d’harmonie, où la réceptivité de chacun sera amplifiée. C’est aussi comme la surface d’une eau calme, où l’on jette successivement des pierres exactement au même endroit. L’onde va s’élargir et se prolonger. C’est la communication en harmonie des énergies. » (L’art du combat. Entretiens avec Kenji Tokitsu. JL Cavalan & H Vernay. Guy Trédaniel Editeur ; Paris 1999, p.68-69).

C’est ainsi qu’en démonstration, des professeurs expérimentés peuvent réaliser des techniques de projection sans toucher leurs partenaires en montrant des techniques volontairement spectaculaires et esthétiques avec leurs élèves avancés ayant coutume de chuter avec eux. Ces élèves chutent, non pas parce qu’ils sont projetés par une force mystérieuse et invisible qui interviendrait à distance, mais parce qu’ils anticipent l’action possible et se lancent dans la chute plutôt que de subir cette action.

En dehors des démonstrations, l’étude « en harmonie des énergies » où attaquant et attaqué collaborent pour ajouter leurs énergies afin d’exécuter un mouvement selon des conventions est à la base de l’entraînement en Aïkido.

Ce principe « Aïki », cette forme de travail et ce que l’on donne à voir dans les démonstrations d’Aïkido, laissent souvent les pratiquants d’autres Arts Martiaux perplexes puisque le terrain de recherche des arts martiaux est le « combat » et que celui-ci est justement l’inverse de la « collaboration ».

Entrée directe sur une attaque au couteau. Félix, Lilou Senseï 6e dan Aïkikaï

Entrée directe sur une attaque au couteau. Félix, Lilou Senseï 6e dan Aïkikaï

Nous comprenons cette perplexité et souvent nous la partageons face à certains styles d’Aïkido. Pour nous, une pratique de l’Aïkido limitée à l’étude de ce seul principe verse facilement dans la complaisance et quitte la problématique des Arts Martiaux pour celle de l’expression corporelle (ce qui est au demeurant une pratique tout à fait légitime et respectable). Dans l’Aïkido que nous proposons il s’agit aussi de réaliser des entrées directes sur le centre de l’adversaire, de pratiquer les armes et les coups de pieds et de poings.

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Coups de pieds, coups de poings et Aïkido

Les techniques d’Aïkido permettent de se défendre contre une grande variété d’attaques : des saisies, des frappes à la tête avec le tranchant de la main, des coups de couteau, de sabre et de bâton, des attaques par derrière, par plusieurs adversaires, lorsqu’on est en seiza (assis à genoux à la japonaise), etc. Paradoxalement les attaques les plus évidentes pour un occidental urbain du XXIe siècle, les coups de poings et de pieds, ne sont qu’assez peu prises en compte par les techniques de base enseignées jusqu’au shodan (ceinture noire) et sont renvoyées plutôt à des applications que l’on ne pratique qu’entre aïkidokas de haut niveau.

L’explication de cette « faiblesse » tient à l’origine de l’Aïkido : les techniques qui ont servi de base à sa conception étaient pratiquées par des guerriers armés qui combattaient rarement sur des terrains plats et stables. Les coups de poings et de pieds n’étaient pas des attaques « sérieuses » pour eux. Il était bien sûr impossible de donner un coup de pied à quelqu’un armé d’un sabre -et éventuellement protégé par une armure, a fortiori si l’on s’affrontait sur un terrain en pente, mouillé, boueux, rocailleux ou recouvert de végétation. Il était plus envisageable de donner un coup de poing, à condition de saisir d’abord la main qui tenait l’arme, mais c’était bien sûr un expédient désespéré certainement pas une technique d’attaque.

En revanche, pour nous aujourd’hui, la probabilité de recevoir un coup de poing sur le nez ou un coup de pied au bas ventre est plus forte que celle de devoir affronter une attaque au sabre. Même si l’on ne pratique pas l’Aïkido dans une optique utilitariste de self-défense, il est donc normal de construire progressivement la place des attaques « modernes » de pieds et de poings dans notre pratique.

Ceci a conduit Christian TISSIER Shihan à concevoir un support pédagogique spécifique pour l’application des techniques d’Aïkido aux attaques par coups de pieds et de poings et à intégrer une leçon du grand karateka Dominique VALERA lors de la « Fête de l’Aïkido 2012 » à Paris :

Pour nous, qui avons une pratique en Karate parallèlement à notre engagement dans l’Aïkido, faire étudier correctement les attaques de pieds et de poings ainsi que l’application des techniques d’Aïkido sur ces attaques correctes est un objectif pédagogique dès la première année de pratique. Il est favorable à une prise de conscience précoce de la distance dynamique (ma-aï) et correspond à une progression pertinente avant de commencer l’étude des armes.

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L’Aïkido permet une pratique variée répondant à de nombreux intérêts

L’Aïkido est un art martial à mains nues mais où l’on étudie également les armes (poignard, sabre et bâton). Les techniques font face à des attaques, saisies ou frappes, à mains nues ou avec une arme ; elles consistent en des déplacements et placements permettant de créer des déséquilibres afin de projeter ou d’immobiliser un adversaire, même si celui-ci est plus lourd, plus grand ou plus fort physiquement.

Il n’y a pas de compétitions sportives en Aïkido, ainsi chacun peut pratiquer avec des objectifs qui lui sont propres, que ce soit en termes d’intensité physique, d’intérêts spécifiques, de variété de pratique.

L’Aïkido favorise l’exercice équilibré et homogène de tout le corps et constitue une éducation physique complète développant robustesse, souplesse, résistance et endurance, ainsi le sens de l’équilibre, l’agilité et l’adresse. Par sa pédagogie, il est également favorable à l’amélioration de la concentration, de l’attention et du sens de l’observation.

L’Aïkido est un complément et une préparation idéale aux sports et loisirs de pleine nature, qu’il s’agisse de mer, d’eaux vives, de montagne, de randonnées pédestres ou cyclistes, etc.

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Notre vision de l’Aïkido : Histoire, Budo et Sports

L’Aïkido est le produit du même mouvement sociologique et historique que le Judo, le Karaté-do et le Kendo modernes.

Dans le Japon traditionnel, la classe des nobles guerriers (« bushi », popularisés sous le nom de « samouraï »), valorisait un mode d’éducation physique fondé sur les arts martiaux traditionnels (archerie, équitation, escrime au sabre et à la lance et, dans une moindre mesure, combat à mains nues) et une idéologie apologétique des qualités morales que la pratique des arts martiaux contribuait à affermir : la Voie du guerrier (« bushido »).

La rencontre avec l’occident moderne à la fin du XIXe siècle a provoqué la fin de ce Japon au moment même où la promotion des idéaux de l’olympisme faisait de la pratique sportive une nouvelle culture intégrant éducation physique et idéal moral.

Les « budo » : arts martiaux modernes d’origine japonaise, sont le produit de cette rencontre de la tradition martiale japonaise et l’idéal sportif occidental.

Maître Ueshiba Moriheï, fondateur de l’Aïkido, 1883-1969

Leurs fondateurs, à la fois extrêmement bien formés aux arts martiaux traditionnels et attirés par l’universalisme moderne, ont conçu un projet éducatif ambitieux : protéger le trésor culturel du « bushido », conçu comme un ensemble de « vertus » morales atteignables par la pratique des arts martiaux, et le faire partager à l’humanité au-delà de l’aristocratie et du Japon.

Leur projet a réussi et les « budo » que nous pratiquons sont les élaborations progressives des disciplines qu’ils ont refondées et qui se sont démocratisées et internationalisées au XXe siècle.

Le Judo, le Karaté-do et le Kendo, dans leurs formes les plus courantes, ont importé la compétition des sports occidentaux. La nécessité de l’organisation et de la réalisation de performances permettant de dégager une élite sportive, des « vainqueurs » et des champions, ont façonné progressivement le patrimoine technique, l’esprit et les modalités d’entrainement de ces disciplines.

L’Aïkido a fait le choix, constamment réaffirmé car la question a été discutée à plusieurs reprises ces 40 dernières années, de ne pas développer de compétition. Ce choix a plusieurs conséquences importantes pour notre pratique :

–          Le patrimoine technique de l’Aïkido est extrêmement riche et continue à se développer parce qu’il n’est pas limité par la focalisation sur les seules techniques qui « marchent » en compétition. Il permet notamment de s’intéresser aux confrontations asymétriques : un pratiquant contre plusieurs, un pratiquant à mains nues contre un armé, un pratiquant attaqué par derrière, etc., qui seraient inenvisageables dans un combat de compétition sportive.

–          La pratique de l’Aïkido est collaborative et non pas compétitive : les partenaires/adversaires sont à tour de rôle perdant ou gagnant, attaquant ou attaqué, ils doivent « jouer le jeu » pour pouvoir apprendre ensemble.

–          On peut pratiquer l’Aïkido de ses moyens et de ses envies : les adolescents et jeunes adultes peuvent avoir une pratique extrêmement intense et rude où le corps exulte, les personnes limitées par l’âge ou des handicaps peuvent également avoir une pratique visant le bien-être et l’autonomie. Entre ces extrêmes tous les états intermédiaires sont possibles, puisque ce que l’on recherche n’est pas « battre » quelqu’un d’autre mais « s’améliorer » soi-même.

–          On peut trouver du plaisir à la progression toute sa vie : au-delà de l’amélioration des performances musculaires et cardio-respiratoires qui sont le propre de l’activité physique et qui connaissent un optimum lié à l’âge, l’Aïkido perfectionne l’acuité des sensations corporelles, la précision du placement du corps dans l’espace, la justesse des gestes et des déplacements, qui peuvent s’améliorer à l’infini.

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