L’Aïkido est le produit du même mouvement sociologique et historique que le Judo, le Karaté-do et le Kendo modernes.
Dans le Japon traditionnel, la classe des nobles guerriers (« bushi », popularisés sous le nom de « samouraï »), valorisait un mode d’éducation physique fondé sur les arts martiaux traditionnels (archerie, équitation, escrime au sabre et à la lance et, dans une moindre mesure, combat à mains nues) et une idéologie apologétique des qualités morales que la pratique des arts martiaux contribuait à affermir : la Voie du guerrier (« bushido »).
La rencontre avec l’occident moderne à la fin du XIXe siècle a provoqué la fin de ce Japon au moment même où la promotion des idéaux de l’olympisme faisait de la pratique sportive une nouvelle culture intégrant éducation physique et idéal moral.
Les « budo » : arts martiaux modernes d’origine japonaise, sont le produit de cette rencontre de la tradition martiale japonaise et l’idéal sportif occidental.
Leurs fondateurs, à la fois extrêmement bien formés aux arts martiaux traditionnels et attirés par l’universalisme moderne, ont conçu un projet éducatif ambitieux : protéger le trésor culturel du « bushido », conçu comme un ensemble de « vertus » morales atteignables par la pratique des arts martiaux, et le faire partager à l’humanité au-delà de l’aristocratie et du Japon.
Leur projet a réussi et les « budo » que nous pratiquons sont les élaborations progressives des disciplines qu’ils ont refondées et qui se sont démocratisées et internationalisées au XXe siècle.
Le Judo, le Karaté-do et le Kendo, dans leurs formes les plus courantes, ont importé la compétition des sports occidentaux. La nécessité de l’organisation et de la réalisation de performances permettant de dégager une élite sportive, des « vainqueurs » et des champions, ont façonné progressivement le patrimoine technique, l’esprit et les modalités d’entrainement de ces disciplines.
L’Aïkido a fait le choix, constamment réaffirmé car la question a été discutée à plusieurs reprises ces 40 dernières années, de ne pas développer de compétition. Ce choix a plusieurs conséquences importantes pour notre pratique :
– Le patrimoine technique de l’Aïkido est extrêmement riche et continue à se développer parce qu’il n’est pas limité par la focalisation sur les seules techniques qui « marchent » en compétition. Il permet notamment de s’intéresser aux confrontations asymétriques : un pratiquant contre plusieurs, un pratiquant à mains nues contre un armé, un pratiquant attaqué par derrière, etc., qui seraient inenvisageables dans un combat de compétition sportive.
– La pratique de l’Aïkido est collaborative et non pas compétitive : les partenaires/adversaires sont à tour de rôle perdant ou gagnant, attaquant ou attaqué, ils doivent « jouer le jeu » pour pouvoir apprendre ensemble.
– On peut pratiquer l’Aïkido de ses moyens et de ses envies : les adolescents et jeunes adultes peuvent avoir une pratique extrêmement intense et rude où le corps exulte, les personnes limitées par l’âge ou des handicaps peuvent également avoir une pratique visant le bien-être et l’autonomie. Entre ces extrêmes tous les états intermédiaires sont possibles, puisque ce que l’on recherche n’est pas « battre » quelqu’un d’autre mais « s’améliorer » soi-même.
– On peut trouver du plaisir à la progression toute sa vie : au-delà de l’amélioration des performances musculaires et cardio-respiratoires qui sont le propre de l’activité physique et qui connaissent un optimum lié à l’âge, l’Aïkido perfectionne l’acuité des sensations corporelles, la précision du placement du corps dans l’espace, la justesse des gestes et des déplacements, qui peuvent s’améliorer à l’infini.